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M. VERNEAU. — L’ATLANTIDE ET LES ATLANTES.

Depuis les Pyrénées jusqu’en Algérie, la distance est grande, et si quelque anthropologiste avait eu, il y a quelques années, l’idée de faire descendre les hommes de Roknia des chasseurs de la Vézère, on aurait pu, à bon droit, lui objecter qu’on ne trouvait nulle part de traces de leur passage. Aujourd’hui, cette objection ne saurait plus nous être faite : nous avons, en effet, été assez heureux pour combler en partie la grande lacune qui existait. Lors de notre dernier séjour à Madrid (1884), nous avons pu étudier certaines pièces qui démontrent l’existence de la race de Cro-Magnon en Espagne pendant l’époque néolithique. Nous avons donné de ces pièces, jusqu’alors inédites, une description assez détaillée[1] pour n’avoir pas besoin de les décrire de nouveau. Il nous suffira de rappeler que, jusqu’à ce jour, le type de Cro-Magnon n’a pas été signalé en Espagne avant notre époque géologique. Mais a l’époque de la pierre polie il fait son apparition, et nous avons constaté sa présence depuis Oviedo jusqu’en Andalousie. D’autres races vivaient déjà dans le pays, et, sur plus d’un point, des croisements se sont produits. Dans la province de Ségovie, la race quaternaire de la Vézère se montre à peu près pure à l’époque néolithique ; elle avait sans doute trouvé là le champ presque libre.

Peu nous importe, en somme, au point de vue où nous nous plaçons, que les hommes de Cro-Magnon aient vécu seuls dans la péninsule à l’âge de la pierre polie ; ce qu’il fallait constater, c’était leur présence, et nous l’avons démontrée.

Lorsque les métaux font leur apparition, le type ne disparaît pas d’Espagne. Dans le mémoire auquel nous venons de faire allusion, nous émettions l’idée qu’il avait dû persister pendant l’âge du bronze ; mais nous étions cependant forcé de faire quelques réserves, les matériaux dont nous disposions ne nous permettant pas d’être très affirmatif. Des faits nouveaux sont venus lever nos derniers doutes. MM. Siret ont eu la bonne fortune de recueillir en Andalousie, dans diverses sépultures de l’âge du bronze, soixante-dix crânes, presque tous complets. Étudiés par le savant secrétaire de la Société d’anthropologie de Bruxelles, M. Victor Jacques, ils l’ont conduit aux conclusions suivantes, qu’il a bien voulu nous communiquer il y a quelques mois :

« Les représentants de l’antique race de Cro-Magnon ont une influence prépondérante dans les populations de l’âge du bronze du sud-est de l’Espagne : on pourrait affirmer que cette race formait le fond de la population. » Le type ancien se montre pourtant ici légèrement altéré, en général. Malgré « quelques différences », l’analogie entre les crânes quaternaires de la Dordogne et les crânes de l’âge du bronze d’Andalousie est cependant frappante, « aussi bien dans l’ensemble des caractères descriptifs qu’au point de vue des mesures crâniennes ; les os longs présentent les mêmes caractères de forme ; mais la plupart dénotent une taille inférieure à la moyenne (de la race de Cro-Magnon). En somme, quelques caractères du crâne s’écartent de ceux de la race typique, et la taille se trouve notablement abaissée. Ces deux faits s’expliquent par la juxtaposition d’un peuple différent[2]… »

Dans l’état actuel de nos connaissances, la question, en ce qui touche l’Espagne, peut se résumer en quelques mots. Inconnu dans ce pays pendant l’époque quaternaire[3], le type de Cro-Magnon fait son apparition, dans le nord de la péninsule notamment, à l’époque néolithique, c’est-à-dire lorsque, chez nous, de nouvelles populations tentaient de s’emparer du sol. N’est-il pas logique d’en conclure que les hommes qui chassaient autrefois l’ours, le mammouth, le renne, dans le sud-ouest de la France, ont, en partie, franchi les Pyrénées à l’arrivée des envahisseurs néolithiques ?

Continuant sa route vers le sud, la race arrive jusqu’en Andalousie où, à l’âge du bronze, elle formait encore « le fond de la population ».

Mais déjà le sud-est de la péninsule ibérique recevait des individus de races différentes. Des peuplades du type de Furfooz et des individus, qui semblent à M. Victor Jacques « se rapprocher du type ligure », s’établissaient à côté des hommes de Cro-Magnon. Leur nombre augmentant, il a dû se produire ce qui s’était produit chez nous au début de notre époque : la vieille race s’est, en partie, croisée avec les nouveaux venus et, en partie, dirigée vers d’autres terres.

Ce qui nous fait émettre cette dernière idée, ce sont les découvertes de MM. le général Faidherbe, Bourguignat, Mac-Carthy et celles plus récentes de M. Laburthe, dans les dolmens d’Algérie. Tous ces explorateurs ont rencontré à Roknia la race de Cro-Magnon, tantôt à l’état de pureté, tantôt plus ou moins altérée par des croisements avec d’autres éléments ethniques. Et ce n’est pas seulement dans cette localité, mais dans presque tout le nord de l’Afrique depuis l’extrémité orientale de la Tunisie jusqu’aux limites occidentales du Maroc, qu’on a retrouvé des traces de cette race dans les sépultures mégalithiques.

Malheureusement les dolmens de Roknia et du nord de l’Afrique ne nous renseignent pas sur l’époque de l’arrivée de leurs constructeurs. Ce que nous savons,

  1. Voir Revue d’anthropologie, t. Ier, 3e série.
  2. Henri et Louis Siret, les Premiers âges du métal dans le sud-est de l’Espagne, Revue des questions scientifiques, 1888. MM. Siret citent, dans ce passage, les conclusions auxquelles l’étude de leur collection ostéologique a conduit M. Victor Jacques.
  3. Si des découvertes ultérieures venaient prouver l’existence, en Espagne, du type de Cro-Magnon avant notre époque géologique, notre théorie ne se trouverait pas renversée du coup. Il se pourrait fort bien, en effet, que des chasseurs de la Vézère aient franchi les Pyrénées dès l’époque quaternaire.