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M. VERNEAU. — L’ATLANTIDE ET LES ATLANTES.

de l’abri sous roche de la Vézère ne remonteraient pas à l’époque quaternaire et il faudrait les rajeunir considérablement. Si ce fait était démontré pour Cro-Magnon, et il est loin de l’être, il n’en resterait pas moins établi que la race dont nous parlons vivait dans notre région dès les temps quaternaires : on l’a rencontrée avec tous ses caractères dans une foule de grottes et de stations de cette époque, à côté de débris d’animaux éteints ou émigrés. À Grenelle aussi bien qu’à Sorde, elle apparaît dès l’époque de l’ours et du lion, c’est-à-dire dès les premiers temps quaternaires. Se fût-on trompé relativement à l’âge de telle ou telle station, il n’en resterait pas moins prouvé que la race de Cro-Magnon a vécu en France dès le début de l’époque glaciaire.

Ce n’est pas chez nous seulement qu’on l’a rencontrée. M. Hamy « l’a suivie jusqu’en Afrique, dans les tombes mégalithiques explorées surtout par le général Faidherbe, et chez les tribus kabyles des Beni-Menasser et du Djurjura. Mais c’est principalement aux Canaries, dans la collection du Barranco-Hondo de Ténériffe, qu’il a rencontré des têtes dont la parenté ethnique avec le vieillard de Cro-Magnon est vraiment indiscutable. D’autre part, quelques termes de comparaison, malheureusement bien peu nombreux, lui font regarder comme probable que les Dalécarliens se rattachent à la même souche[1]. »

Cette communauté de type indique une communauté d’origine. Aussi devait-on se demander quelle était, parmi ces populations, celle qui avait donné naissance aux autres. Ne seraient-ce pas les Guanches des Canaries qui auraient été les ancêtres des Kabyles, des Beni-Menasser et du Djurjura et des hommes de Cro-Magnon ? Mais alors, les Guanches ne seraient-ils pas simplement ces Atlantes qui, d’après Platon, auraient envahi la Libye et une partie de l’Europe qu’ils allaient soumettre, lorsqu’ils furent arrêtés par les Athéniens ?

Pour résoudre ces questions, il nous faut entrer dans quelques détails et esquisser l’histoire de la race de Cro-Magnon dans les différents pays où elle a été rencontrée.

En France, avons-nous dit, cette race apparaît dès le commencement de l’époque quaternaire. Elle prit un grand développement, dans le sud-ouest principalement. « Le petit bassin de la Vézère était, pour ainsi dire, sa capitale ; ses colonies s’étendaient jusqu’en Italie, dans le nord de notre pays, dans la vallée de la Meuse[2], etc. »

Dès les temps quaternaires, les hommes de Cro-Magnon s’étaient vu disputer le sol par des individus d’un type physique différent : des brachycéphales essayèrent de se substituer aux dolichocéphales. Sur plus d’un point, des croisements eurent lieu, et de ces alliances résulta un type intermédiaire. Ce fut surtout au début de notre époque géologique que nos chasseurs de la Vézère eurent à soutenir de redoutables luttes. Des envahisseurs, appartenant à ce type qu’on a appelé dolichocéphale néolithique, arrivaient en grand nombre ; ils finirent par s’établir dans les régions qu’occupait précédemment la race de Cro-Magnon.

Mais qu’était devenue cette race ? Avait-elle été exterminée par les nouveaux venus ? Nous pouvons hardiment répondre non. À l’époque de la pierre polie, elle comptait encore, chez nous, un bon nombre de représentants dont nous trouvons les restes dans les stations de cette époque. Dans la plupart des cas, leur type dénote un métissage : ils s’étaient alliés aux envahisseurs. Sur quelques points, cependant, à Sorde, par exemple, dans les Pyrénées, la race avait persisté à l’état de pureté : elle s’était évidemment trouvée là dans des conditions d’isolement qui lui avaient permis de conserver, sans altération sensible, les caractères de ses ancêtres quaternaires. La race de Cro-Magnon a si peu disparu à la fin de l’époque glaciaire qu’on en a retrouvé des représentants non seulement dans beaucoup de stations néolithiques, comme nous venons de le voir, mais encore dans des sépultures gauloises (Piette), et que, de temps à autre, nous retrouvons ce type chez nos populations modernes[3].

Il n’en est pas moins vrai que lorsque les hommes de la pierre polie sont arrivés chez nous, le nombre des individus du type de Cro-Magnon a diminué considérablement. Les luttes qu’eurent à soutenir les vieux habitants de notre sol n’ont pas été l’unique cause de cette diminution. Sans vouloir nier l’importance qu’il faut leur attribuer, nous pensons qu’elles n’ont pas été aussi meurtrières qu’on pourrait le supposer. La paix s’est faite entre les envahisseurs et les premiers occupants, et nous en avons la preuve dans les alliances que nous venons de signaler.

Une autre raison nous explique la diminution de la race de Cro-Magnon au début de notre époque géologique, ce sont ses migrations. Habitué à chasser des animaux qui émigraient alors dans diverses directions, gêné aussi, sans doute, par ces nouveaux venus qui lui disputaient ses ressources, l’homme de Cro-Magnon a cherché d’autres territoires. Il est possible qu’il ait suivi plusieurs voies ; les documents dont nous disposons actuellement ne nous permettent pas de faire l’histoire complète de ces migrations, et, d’ailleurs, il n’en est qu’une qui nous intéresse pour le moment, c’est celle qui s’est dirigée vers le sud. Nous espérons la mettre hors de doute.

  1. A. de Quatrefages, l’Espèce humaine. Paris, 1877.
  2. A. de Quatrefages, op. cit.
  3. Voir, à ce sujet, l’Espèce humaine, par M. de Quatrefages ; les Crania ethnica, par MM. de Quatrefages et Hamy, et les deux notes que nous avons publiées, l’une Sur deux crânes modernes du type de Cro-Magnon (Bull. Soc. anthrop., 1876), l’autre sur la Race de Cro-Magnon, ses migrations, ses descendants (Revue d’anthropologie, t. Ier, 3e série, 1886).