Page:Revue scientifique (Revue rose), série 3, tome 16, 1888.djvu/77

Cette page a été validée par deux contributeurs.
74
M. VERNEAU. — L’ATLANTIDE ET LES ATLANTES.

teuses et schistes métamorphiques sont en réalité des phonolithes qui sont devenues plus ou moins feuilletées par suite de la natrolisation de leur hauÿne ou de leur néphéline, de même que les mélaphyres de quelques-uns sont devenues des andésites augitiques. S’il existe réellement des roches prétertiaires à la Grande Canarie, ce doit être d’une manière fort circonscrite[1]. »

M. Calderon a étudié trois échantillons de roches de cette nature ; l’un se rapporte aux diorites quartzifères, l’autre aux diabases et le troisième aux porphyrites ; le premier provient, il est vrai, de décombres d’une maison qu’on avait démolie. Nous avons nous-même recueilli quelques fragments de fer oxydulé, de sulfure de plomb, de carbonates de cuivre, etc. ; mais ces fragments se sont toujours rencontrés isolés au milieu de débris volcaniques de toutes sortes ; jamais nous n’avons trouvé ces roches en place, pas plus que ne l’avaient été celles étudiées par le savant minéralogiste espagnol. Ne s’agirait-il pas simplement, comme le pense cet auteur, de « fragments arrachés, pendant les éruptions, aux assises primitives à travers lesquelles les volcans de l’Océan se sont ouvert un passage ». Cette opinion, qui est partagée d’ailleurs par plusieurs hommes éminents, parmi lesquels nous pourrions citer Scrope, Stoppani, M. Fouqué, etc., nous semble la seule admissible, dans l’état actuel de nos connaissances, et nous continuerons à regarder, avec M. Calderon, comme « essentiellement modernes » les îles Canaries.

Quand nous disons que les Canaries sont essentiellement modernes, nous entendons qu’elles ont émergé à une époque récente. Les assises fossilifères nous ont déjà montré que quelques couches se sont formées sous les eaux pendant l’époque tertiaire et notre ami, M. Calderon, a prouvé, dans ses beaux travaux sur les roches de l’archipel canarien, que la plupart d’entre elles datent de la même époque. Mais il a, en même temps, mis hors de doute, à l’aide de preuves multiples, que les éruptions auxquelles elles doivent leur origine ont été sous-marines.

Les conclusions à tirer de ce qui précède peuvent se résumer en quelques lignes :

1o Le sol des Canaries offre, disséminés par-ci par-là au milieu de produits volcaniques récents, quelques rares fragments de roches anciennes qui ont dû être arrachés des couches profondes, pendant les éruptions.

2o La plupart des roches qui émergent aujourd’hui doivent leur origine à des éruptions sous-marines remontant à l’époque tertiaire. Les couches de fossiles marins démontrent aussi que les Canaries gisaient sous les eaux pendant toute la période tertiaire et sans doute pendant l’époque post-pliocène.

3o Ce n’est qu’à une époque récente que ces îles ont été soulevées par les forces volcaniques. Toutes les roches qui ne résultent pas d’éruptions sous-marines prouvent, en effet, qu’elles doivent leur origine à des éruptions toutes modernes.

Par conséquent, rien n’autorise à supposer l’existence ancienne, dans cette région, d’une vaste terre qui aurait été submergée. Les recherches scientifiques ont réduit à néant les raisons invoquées par quelques-uns en faveur de l’Atlantide de Platon. Cette île hypothétique ne repose que sur le texte du philosophe. Entre un récit, qui a toutes les apparences d’une fable, et les déductions tirées des données de la science, nous ne pouvons hésiter et, avec M. Hœfer, nous dirons : « Quelle que soit l’opinion des érudits, nous pensons que l’Atlantide n’est qu’une fiction[2]. »

II.

Après ce que nous venons de dire de l’Atlantide, nous pourrions nous dispenser de parler des Atlantes. Nous croyons cependant utile d’envisager la question au point de vue de l’anthropologie. Quelques spécialistes ont cru, en effet, pouvoir tirer de certains faits, parfaitement indiscutables d’ailleurs, des conclusions qui nous semblent tout à fait erronées. Pour être compris du lecteur, il nous faut d’abord rappeler brièvement les faits auxquels nous voulons faire allusion.

En 1858, des ouvriers retiraient de l’abri sous roche de Cro-Magnon, dans la vallée de la Vézère, les ossements de trois hommes, d’une femme et d’un enfant, dont M. Louis Lartet détermina l’âge géologique : ces débris humains remontaient à l’âge quaternaire ; ils étaient contemporains du mammouth et du rhinocéros. Étudiés avec le plus grand soin par Broca, Pruner-Bey, MM. de Quatrefages, Hamy et une foule d’autres anthropologistes, les gens de Cro-Magnon offrirent des caractères si différents de ceux que présentaient toutes les races connues jusqu’alors, qu’on ne pouvait les rattacher à aucune d’elles. Ils ne restèrent pas isolés : de nouvelles découvertes vinrent bientôt montrer que des individus du même type que ceux de la Vézère avaient jadis vécu en grand nombre dans notre pays. Il fallait se rendre à l’évidence et admettre que la race de Cro-Magnon avait, à une époque ancienne, joué chez nous un rôle important.

Mais si les anthropologistes ne pouvaient se refuser à admettre la légitimité d’un groupe aussi bien caractérisé, il s’est trouvé récemment des archéologues et des géologues pour contester l’ancienneté de la race de Cro-Magnon : certaines sépultures ne seraient pas aussi anciennes qu’on l’avait cru tout d’abord. Les individus

  1. S. Calderon y Arana, Nuevas observaciones sobre la litologia de Tenerife y Gran Canaria, in Anales de la Sociedad española de Historia natural t. IX. Madrid, 1880.
  2. Hœfer, Platon, in Nouvelle Biographie générale, publiée par Firmin-Didot. Paris, 1862.