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M. VERNEAU. — L’ATLANTIDE ET LES ATLANTES.

Croix de Ginamar (Grande Canarie), se voient « des variétés de roches à éléments très grossiers qui simulent, par leur aspect, des roches plutoniques[1] » ; mais de granite on n’en a trouvé nulle part. Nous ne voulons pas suspecter la bonne foi de Bory de Saint-Vincent ; il est probable que, ne disposant pas des moyens d’investigation que possèdent les minéralogistes actuels, il a été conduit à de graves confusions. « C’est de cette façon qu’on peut expliquer que des géologues aussi éminents que Buch, Berthelot et Lyell aient affirmé l’existence, à la Grande Canarie, de micacites, d’eurites et de diabases[2]. » Pas plus que les granites, ces roches ne se rencontrent dans l’archipel.

Les « lits de sable ferrugineux qui n’ont éprouvé aucune altération » sont assurément récents. Si « à coup sûr on ne peut révoquer en doute l’origine éruptive de ceux qui accompagnent l’argile rouge et le minerai de fer dans les gisements sidérolitiques du Jura bernois[3] », il est encore bien moins permis de douter de l’origine volcanique de ceux des Canaries. À chaque pas le géologue se trouve en présence de cônes volcaniques tout à fait modernes, recouverts sur leurs flancs de ce sable ferrugineux ; un grand nombre, pendant leurs dernières éruptions, ont rejeté dans le voisinage une quantité énorme de ce sable qui forme, sur beaucoup de points, la couche la plus superficielle.

Quant aux argiles, elles n’ont nullement la signification que veut leur attribuer Bory de Saint-Vincent. Elles existent en effet là où il les signale, c’est-à-dire sur le plateau de la Laguna, dans l’île de Ténériffe ; il aurait pu en citer dans beaucoup d’autres localités et si les couches argileuses de la Laguna sont situées à 30 pieds de profondeur, on en voit, à la Grande Canarie, qui se trouvent interposées entre deux lits de basalte. Ce dernier fait, à lui seul, suffirait à prouver que nous sommes en présence d’argiles volcaniques rejetées entre deux éruptions de basalte. Leurs strates n’indiquent pas des terrains anciens : ce sont des couches stratifiées composées de fragments volcaniques et de cendres transformées en wackes et consolidées par des infiltrations. À la Laguna les argiles résultant de la décomposition des cendres, des scories et de diverses roches éruptives ont pu être entraînées des hauteurs dans le fond de la cuvette qu’entourent ces montagnes ; il se serait produit une véritable sédimentation mécanique, sans qu’il soit permis d’en conclure à la haute ancienneté des îles.

Les arguments que Bory de Saint-Vincent tire de l’existence de couches fossilifères peuvent se retourner contre sa thèse. Les fossiles que renferment ces couches sont en effet exclusivement marins ; Lyell, Hartung, Woodward, etc., y ont reconnu un certain nombre d’espèces malacologiques de la fin de l’époque miocène. Ce fait démontre que, pendant l’époque tertiaire, les Canaries étaient encore recouvertes par les eaux : les êtres marins dont on retrouve les débris dans les bancs dont nous parlons n’ont pu s’accumuler sur une terre émergée ; ils se sont déposés au fond de la mer. C’est plus tard que les couches formées par leur accumulation ont été soulevées, à la suite de quelque phénomène volcanique, à des altitudes de 100, 200 et même 1 000 mètres au-dessus du niveau de l’Océan.

Il existe d’autres couches qui contiennent des fossiles marins plus récents encore. Si elles renferment réellement, comme on l’a prétendu, des espèces post-pliocènes et même des espèces actuelles, il nous faudra admettre qu’après l’époque tertiaire l’archipel canarien était encore submergé. Nous ne pouvons pas préciser l’époque du soulèvement de ces îles, mais nous pouvons affirmer qu’elle n’est pas fort ancienne ; nous pouvons affirmer surtout que les Canaries ne sont pas les restes d’un continent affaissé, mais qu’elles sont au contraire le résultat d’un soulèvement de couches jadis submergées.

Les empreintes de végétaux que Bory de Saint-Vincent a vues à la Rambla, dans l’île de Ténériffe, lui ont montré l’oranger, le citronnier, le châtaignier, la vigne, le mûrier et la ronce[4]. Cette simple énumération suffit à prouver qu’il s’agit d’un phénomène récent : la plupart des végétaux que cite l’auteur ont été introduits depuis le XVe siècle. Nous avons pu observer le phénomène à la Rambla même et nous convaincre que les empreintes de végétaux sont de fausses pétrifications, des incrustations qui, pour se produire avec plus de lenteur qu’à Saint-Allyre ou à Saint-Nectaire, n’en sont pas moins dues à la même cause.

De tous les arguments invoqués par Bory de Saint-Vincent, il n’en est aucun qui ait une réelle valeur. Plusieurs même, au lieu de démontrer que les Canaries sont des îles émergées depuis de longs siècles, prouvent, au contraire, qu’elles étaient encore sous les eaux après l’époque tertiaire.

Mais ce naturaliste n’était ni géologue ni minéralogiste, et nous ne saurions passer sous silence les opinions émises par des spécialistes éminents. Nous avons déjà vu ce que, d’après M. Calderon, il faut penser des micacites, des eurites et des diabases de la Grande Canarie. C’est aussi à la suite d’études incomplètes que L. de Buch a signalé dans la même île l’existence de schistes : mieux étudiés, ils sont devenus des phonolithes. « Nous devons insister sur ce point que les roches qui, avant les récents progrès de la lithologie, ont été appelées, par les observateurs, diabases schis-

  1. S. Calderon y Arana, la Evolución en las rocas volcánicas en general y en las islas Canarias en particular, in Anales de la Sociedad española de Historia natural, t. VIII, Madrid, 1879.
  2. S. Calderon, op. cit., p. 269.
  3. Ch. Coutejean, Éléments de géologie et de paléontologie, p. 491. Paris, 1874.
  4. Bory de Saint-Vincent., op. cit., p. 302.