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M. VERNEAU. — L’ATLANTIDE ET LES ATLANTES.

de l’Asie, lorsqu’ils furent arrêtés par les Athéniens. C’est alors que Jupiter, pour les châtier, engloutit leur île sous les eaux.

Telle est, en quelques mots, l’histoire de l’Atlantide, telle que nous la raconte Platon. Ce récit est-il digne de foi ou bien n’est-il pas « beaucoup plus probable que cet événement est une de ces mille fictions merveilleuses si communes en Orient, et que l’éloquent disciple de Socrate aura embellie de toutes les richesses de son style, afin de donner quelque utile leçon à ses compatriotes[1] » ?

Au premier abord, il semble assez difficile d’admettre que les Égyptiens aient eu à rappeler aux Grecs les glorieux exploits de leurs ancêtres ; il paraît même que Platon se soit rendu compte de l’invraisemblance de son récit. Pour expliquer cette bizarrerie il reporte l’expédition des Atlantes très loin dans le passé et il ajoute que si le souvenir s’en était gardé chez les Égyptiens, c’est qu’ils avaient la coutume de conserver les traditions par écrit.

Cette explication n’a pas satisfait tous les partisans de l’Atlantide. M. Berlioux regarde la défaite des Atlantes comme un fait relativement récent. D’après cet auteur, Athènes et une partie de la Grèce avaient été envahies par les Phéniciens qui en furent chassés par Thésée en 1300 ou en 1233[2]. Ce seraient eux qui auraient opposé une digue à l’invasion et les Grecs n’auraient pris aucune part au fait glorieux que leur attribuait à tort le vieux sacerdote de Saïs.

Au lieu de nous laisser entraîner dans des discussions de ce genre, il nous semble préférable de rechercher si l’île de Platon a réellement existé et quelle position on pourrait lui assigner. Sur ce dernier point les opinions se sont partagées et les auteurs qui se sont prononcés pour l’existence de la grande terre submergée sont loin d’être d’accord sur l’emplacement qu’elle devait occuper. Elle a été tour à tour placée en Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique et même en Océanie. Dans un mémoire lu en 1819 à l’Académie des sciences, Latreille s’est efforcé de démontrer que la Perse occupait l’emplacement de l’Atlantide et que jadis elle avait dû former une île, lorsque la mer Caspienne, l’Oxus et l’Indus occupaient une plus grande étendue. Parmi ceux qui ont mis l’île merveilleuse en Amérique, il en est qui sont allés jusqu’à prétendre qu’elle avait été visitée par les Carthaginois, et ils invoquent à l’appui de leur thèse un passage d’Aristote et un autre de Diodore de Sicile. D’après le philosophe athénien, il existait dans l’Océan une île délicieuse qui avait tant de charmes pour les citoyens de Carthage que le Sénat défendit sous peine de mort d’y aller ; d’après le second, c’est dans cette île lointaine que les Carthaginois auraient décidé de transférer le siège de leur république, en cas d’un désastre irréparable. Cette terre ne pouvait être que l’Atlantide et sa situation lointaine au delà de l’Océan ne permet d’y voir que l’Amérique. Les auteurs qui raisonnent ainsi semblent oublier que Platon a abîmé son île au fond des eaux ; ils étaient donc dispensés par cela même d’aller chercher si loin un pays qui répondît tant bien que mal à la description du disciple de Socrate.

M. Berlioux place l’Atlantide sur le continent africain ; ce serait la région de l’Atlas, depuis l’ancien lac Tritonis occidental jusqu’à la Méditerranée. Quel que soit le talent avec lequel l’auteur défende cette thèse, nous ne saurions voir dans cette contrée, malgré les modifications qu’elle a pu subir, le pays décrit dans le Critias et le Timée.

Empressons-nous d’ajouter que les diverses hypothèses qui précèdent n’ont rallié que fort peu de partisans. La plupart de ceux qui ont ajouté foi au récit de Platon sont allés rechercher l’Atlantide dans la région située au delà des colonnes d’Hercule. Mais parmi ceux-là, il s’est encore produit des divergences : les uns ont admis que l’île avait été entièrement submergée ; les autres, au contraire, ont cru que les montagnes n’avaient pas été recouvertes par les eaux et avaient formé des archipels. C’est cette dernière opinion qu’ont soutenue Tournefort, Buffon[3], Mentelle et Bory de Saint-Vincent.

Pour n’y plus revenir, nous dirons deux mots de la première de ces deux théories. Dans l’état actuel de la science, rien n’autorise à supposer que l’Atlantide gît au fond des eaux, en face des colonnes d’Hercule.

Aussi n’est-ce pas dans cette région que la cherchent aujourd’hui ceux qui la croient entièrement submergée : c’est dans le nord, vers le Groënland. Certaines observations indiscutables peuvent amener à considérer comme faciles, pendant l’époque tertiaire, les communications entre l’ancien et le nouveau continent. « MM. Unger et Heer, guidés uniquement par des considérations de botanique, ont soutenu l’existence, autrefois, d’un continent atlantique pendant une partie de la période tertiaire comme fournissant la seule explication plausible qu’on pût imaginer de l’analogie

  1. Am. Dupont, op. cit.
  2. E.-F. Berlioux, op. cit., p. 145 et 146. La défaite des Atlantes serait, dans ce cas, antérieure de mille ans à Platon, qui naquit l’an 429 avant notre ère et mourut l’an 347.
  3. Buffon ne paraît pas, toutefois, avoir eu une opinion bien arrêtée sur ce sujet, bien qu’il fasse observer qu’il existe une corrélation entre le système orographique des îles Canaries et la chaîne de l’Atlas et que, dans un passage des Époques de la nature (t. Ier, p. 170), il s’exprime en ces termes : « Les Atlantes chez lesquels régnait Atlas, paraissent être les plus anciens peuples de l’Afrique et beaucoup plus anciens que les Égyptiens. La théogonie des Atlantes, rapportée par Diodore de Sicile, s’est probablement introduite en Égypte, en Éthiopie et en Phénicie, dans le temps de cette grande irruption dont il est parlé dans le Timée de Platon, d’un peuple innombrable qui sortit de l’île Atlantique et se jeta sur une grande partie de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique. »