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M. VERNEAU. — L’ATLANTIDE ET LES ATLANTES.

criminalistes. La séparation de la tête et du tronc, disent ces derniers, offre la preuve publique de la mort ; elle constitue un signe de première valeur auquel la foule ne se trompe pas, car elle sait bien que les parties séparées ne peuvent se réunir, que la destruction est définitive. Dans tous les autres procédés, en effet, et dans la fulguration en particulier, la simulation de la mort peut être soupçonnée ; qui pourra savoir, par exemple, si le courant électrique a vraiment été établi ? Quand le corps est mutilé, au contraire, tout soupçon est inadmissible.

Si la peine de mort reste inscrite dans nos Codes, la décapitation sera sans doute longtemps encore chargée de l’exécution. Les garanties d’humanité qu’elle présente sur les autres genres de supplice doivent, aujourd’hui comme en 1791, la faire préférer sans réserve à la pendaison, à la strangulation et même à la fulguration. Contrairement à la potence et au garrot qui laissent peut-être au condamné une minute de connaissance, la guillotine abolit immédiatement la volonté et l’intelligence. La douleur produite par la section du cou n’a pas le temps d’être perçue. Les seules souffrances physiques imposées au patient résultent de la ligature des membres et de la position du corps sur la bascule ; l’humanité ne peut guère exiger moins. La véritable douleur, c’est l’angoisse morale, c’est la frayeur de la mort, et aucun supplice n’est capable de la supprimer, puisque la loi ne permet pas de frapper le condamné sans que celui-ci soit prévenu.

Paul Loye.



GÉOGRAPHIE

L’Atlantide et les Atlantes.

I.

L’anthropologiste ne saurait, de parti pris, négliger les données que lui fournit l’histoire ; mais dans bien des cas il ne doit se servir des documents historiques qu’après les avoir soumis au contrôle de la science. Cette critique devient d’autant plus nécessaire qu’il s’agit de temps plus éloignés de nous et elle est absolument indispensable lorsqu’il est question de ces traditions qui nous ont été transmises par les historiens de l’antiquité. C’est pour n’avoir pas tenu compte de ces préceptes que tant d’auteurs ont émis sur l’Atlantide[1] les opinions les plus bizarres.

Tout le monde sait que c’est à Platon que nous devons la description de cette terre merveilleuse ; on en avait parlé cependant avant lui : « Il est question des Atlantes et de leur île dans deux endroits de l’Odyssée. Hésiode en fait mention dans sa Théogonie ; Euripide les nomma sur le théâtre d’Athènes ; Solon consacra les loisirs de sa vieillesse à composer une grande épopée sur la tradition des conquêtes des Atlantes et de leur roi Atlas ; enfin Platon dans deux dialogues (le Timée et le Critias) consacrés à l’histoire de l’Atlantide, raconte qu’encore enfant il écouta les récits de son aïeul Critias, lequel avait entendu de la bouche même de Solon ce qu’avait enseigné à celui-ci un vieux prêtre égyptien de Saïs[2]. »

Il est à peine besoin de rappeler la description du philosophe grec. Lorsque les dieux abandonnèrent la terre, une grande île échut en partage à Neptune : c’était l’Atlantide, située en face des colonnes d’Hercule et dont l’étendue dépassait celle de la Libye et l’Asie réunies. « Elle produisait, en dehors des choses nécessaires à la vie, tous les métaux solides et fusibles et celui que nous connaissons sous le nom d’oricalcon, dont le nom n’avait alors aucune signification et qui, après l’or, qui se trouvait outre beaucoup d’autres métaux, était le plus précieux de tous. L’île fournissait aussi tous les matériaux nécessaires aux arts ; elle nourrissait un grand nombre d’animaux domestiques et de bêtes sauvages, entre autres une grande quantité d’éléphants ; car elle offrait d’abondants pâturages aux animaux qui vivaient dans les marais, dans les lacs, les rivières, les montagnes et les plaines, et l’éléphant lui-même trouvait de quoi satisfaire son insatiable voracité[3]. »

Platon énumère bien d’autres produits : des parfums de toutes sortes, des raisins, du blé, des cocos, des noix, etc. Les montagnes de l’île fournissaient aux habitants des pierres blanches, noires et rouges qui leur servaient à exécuter des travaux gigantesques dans Cerné, leur capitale. Cette ville renfermait des palais superbes ornés d’étain, de bronze, d’argent et d’or. Le temple de Clito et de Neptune était entouré d’une muraille d’or ; tous les métaux précieux et l’ivoire avaient servi à orner ce sanctuaire.

Les Atlantes étaient, dans le principe, des gens vertueux et justes par excellence ; le philosophe athénien le démontre en décrivant l’organisation de leurs armées, leurs cérémonies religieuses, leur manière de rendre la justice. Mais, tout d’un coup, ils rompirent avec leurs traditions anciennes. Pris subitement d’un désir immodéré de conquêtes, ils partirent en grand nombre et allaient se rendre maîtres de l’Europe et

  1. Nous continuons à nous servir du mot consacré par l’usage, bien que, d’après M. Berlioux, il faille dire Atlantis. « Platon, dit-il, ne donne ce nom qu’au génitif et au datif ; il écrit Ατλαντιδος-τιδί, ce qui ne permet pas de le traduire par Atlantide. » (E.-F. Berlioux, Les Atlantes, Histoire de l’Atlantis et de l’Atlas primitif, Lyon, 1883.)
  2. Art. Atlantide, par Am. Dupont, in Encyclopédie moderne, publiée par MM. Firmin-Didot frères, sous la direction de M. Léon Rénier. Paris, MDCCCLIX, in-8o.
  3. Platon, le Timée et le Critias, traduction française par Victor Cousin. Paris, 1839.