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M. ÉM. MEYERSON. — LA DÉCOUVERTE DE L’HYDROGÈNE.

lomnies impudentes qui ne pourraient être professées que par un homme inexpérimenté, impudent, ivrogne et insensé ».

Cependant Turquet continua à pratiquer ; sa réputation semble même avoir augmenté ; les grands surtout le protégeaient. Il amena le roi Henri IV lui-même à s’interposer par lettre près de la Faculté pour faire lever le décret (18 octobre 1607). Cette démarche n’eut pas de succès non plus qu’une autre, tentée peu après par du Laurens, médecin particulier du roi. Mais telle fut la faveur de Henri IV, que la charge de premier médecin étant devenue vacante peu après par suite de la mort de du Laurens, le roi, dit L’Estoile, « avoit bien envie d’en gratifier Turquet, dit de Maierne, médecin ordinaire de Sa Majesté, lequel il aimoit et estimoit ; mais pour ce qu’il estoit de la Religion, n’en voulust point et dit ces mots : Je voudrois avoir donné vingt mille escus et que Turquet fust catholique, il seroit mon premier médecin. »

L’assassinat du roi fut pour Turquet un coup cruel. Marie de Médicis, dans son catholicisme fervent, désira vivement la conversion du médecin huguenot. Le cardinal du Perron se chargea des démarches. Turquet fut-il ébranlé ? Certes, sa position pouvait devenir intenable si à l’hostilité de la Faculté venait se joindre celle de la Cour. Le vieux Louis Turquet jugea évidemment que le danger était grave et il crut devoir exhorter son fils dans une lettre très pathétique de rester fidèle à sa religion. Mais si celui-ci avait eu des doutes, la fortune se chargea elle-même de les résoudre.

Turquet avait fait (en 1606 ou 1607) un voyage en Angleterre, à la requête d’un de ses clients, à ce qu’il paraît. Il avait été alors présenté au roi Jacques Ier ; celui-ci s’en souvint maintenant et lui proposa de devenir son premier médecin. En 1611, Turquet s’embarqua pour l’Angleterre, mandé par des lettres-patentes sous le grand sceau royal. Ses collègues anglais le reçurent avec de grands honneurs ; les deux universités se l’agrégèrent ainsi que le Collège des médecins. « Il fut toujours regardé, nous dit John Aikin (Memoirs of medecine), comme le premier personnage dans sa profession. » Sa considération ne diminua point par suite de la mort du prince de Galles qui eut lieu peu après ; d’ailleurs, Turquet avait eu la précaution de se faire délivrer nombre de certificats des grands personnages de la cour.

Le roi Jacques étant mort en 1635, Turquet continua à jouir de la même faveur sous son fils Charles Ier ; la reine Henriette l’aimait beaucoup, la communauté de langue et d’origine (elle était fille de Henri IV) y aidant probablement ; il est vrai que Turquet s’entendait à merveille à se concilier les bonnes grâces de ses clientes haut placées : nous trouvons dans les Formules des médicaments une proportion vraiment exagérée de recettes pour cosmétiques, pommades, dentifrices et jusqu’à des moyens d’engraisser, ce qui n’a pas manqué d’exciter quelque peu l’indignation de ses critiques.

Turquet vit la révolution et le supplice du roi Charles. Guy Patin, qui ne lui reconnaît aucun savoir, aucune connaissance, au point de vouloir faire croire que son Apologie était l’œuvre de deux médecins de la Faculté, voudrait également le faire passer pour rebelle, ce qui, on peut le croire, était une accusation grave dans la France royaliste. Il ne semble pas pourtant que Turquet ait pris le parti du Parlement ; nous savons, en effet, que Charles II, à l’exemple de son père et de son grand-père, le nomma son médecin particulier, charge qu’il n’a pu du reste exercer que nominalement ; il est mort à Chelsea, le 16 mars 1655. Il laissa une grande fortune et, au dire de Guy Patin, il serait dans sa vieillesse devenu « très avaricieux, laissant ses enfants mourir de faim ». Il avait été créé chevalier par le roi Jacques en 1625 ; il portait également le titre de baron d’Aubonne (dans le pays de Vaud)[1]. Il avait été marié deux fois ; ses enfants moururent avant lui, à l’exception d’une fille mariée au marquis de Montpeillan, de la maison ducale de la Force.

II.

Le moyen le plus usité pour la préparation de l’hydrogène consiste dans la décomposition de l’acide sulfurique étendu par le zinc ou le fer, par exemple ; c’est la même réaction qui a amené la découverte de ce gaz.

L’acide sulfurique n’était pas connu dans l’antiquité. Nous en trouvons la première mention dans les livres de Geber, qui le prépare en chauffant l’alun. Au XVe siècle, l’huile de vitriol (oleum vitrioli), quoique difficile à obtenir, est devenue cependant un produit d’un usage courant. Dès lors, on remarque ses propriétés corrosives. Basile Valentin donne une recette pour la préparation du sulfate ferreux. « Prends de l’huile de vitriol, dit-il, et dissous-y du fer (martem), tu en feras un vitriol. »

En procédant d’après cette recette, on obtient forcément de l’hydrogène. On pourrait donc croire la découverte accomplie ; ce serait pourtant là une erreur. Il s’agissait de voir que le phénomène de la dissolution était accompagné d’un autre, savoir la production d’un gaz[2]. Or ce fait ne se trouve pas mentionné avant Turquet. Hœfer a bien cru le retrouver dans un passage de Paracelse où il est parlé d’un « air qui se lève et qui fait éruption comme un vent » ; mais ceci a été reconnu depuis comme un simple malentendu.

Par contre, Turquet est des plus explicites sur ce point. Voici la traduction d’un passage de la Pharmacopée (édit. de 1701, p. 150) :

« J’ai pris 8 onces de limaille (de fer) et j’ai versé dessus,

  1. Cette baronnie avait été achetée par Turquet aux seigneurs de Berne et payée 24 300 écus bernois. Montpeillan, qui en hérita après la mort de sa femme, la revendit au célèbre voyageur Tavernier, (Voy. les Dynastes d’Aubonne, dans les Mémoires et documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande", t. XXVI, p. 311-312.
  2. Voir sur la difficulté qu’il y a à observer un fait inconnu, la curieuse série d’exemples donnée par M. Richet (Revue scientifique du 7 avril 1888).