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LE TUNNEL SOUS LA MANCHE

la réalisation du projet en question, disent-ils encore, amènera en Angleterre à la suite des touristes sans cesse plus nombreux une énorme quantité d’argent dont le commerce national sous toutes ses formes tirera profit. On a remarqué à ce propos que si l’Anglais voyage dans son propre pays beaucoup plus que les Français, les Allemands et les Belges dans le leur, en revanche les habitants de ces trois pays franchissent beaucoup plus souvent leurs frontières que ne le font les Anglais. En fait on compte seulement un Anglais sur trente qui voyage à l’étranger, ce qui est très peu. La proportion pour les relations entre les pays ci-dessus cités est du triple sur la seule ligne du nord.

Quant aux arguments basés sur la crainte d’une invasion militaire, les partisans du tunnel les considèrent comme dénués de fondement et nous ne croyons pas qu’ils aient tort. Des procédés ingénieux et multiples ont été proposés pour rendre le tunnel instantanément inutilisable à la première alerte. On ne conçoit d’ailleurs pas très nettement comment une armée continentale pourrait déboucher tout à coup sur le territoire britannique et s’assurer au pied levé la conquête d’un pays qui compte près de quarante millions d’habitants ! La puérilité d’un argument basé sur une crainte de ce genre est évidente ; il faut que les Anglais soient vraiment ignorants des choses militaires pour s’y arrêter un instant et il est incroyable que des hommes de métier invoquent une telle raison contre l’exécution du tunnel. À la moindre tension politique, les autorités britanniques pourraient immédiatement, sous prétexte de réparation à la voie, suspendre le trafic. Si la guerre éclatait et si la flotte anglaise — hypothèse bien invraisemblable ! — était vaincue, il faut croire que le tube aurait été depuis longtemps rompu et rendu inutilisable et que l’ennemi ne pourrait compter pour le débarquement d’une armée d’invasion que sur sa propre flotte. Ainsi, même victorieux sur mer, il ne pourrait nullement utiliser le tunnel.

En admettant qu’une puissance continentale parvint à réunir secrètement (!) à proximité du tunnel, une armée bien approvisionnée, en admettant qu’elle put charger les trains de ses troupes, la seule perturbation du trafic n’éveillerait-elle pas l’attention des autorités anglaises ? et d’ailleurs est-il bien nécessaire à l’Angleterre de recourir immédiatement, comme l’assurent quelques adversaires du projet, au service militaire obligatoire pour se mettre en mesure d’arrêter une armée d’invasion qui aurait pour