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REVUE POUR LES FRANÇAIS

L’armée moderne a pour bases : le recrutement, la discipline, l’armement, la solde et les subsistances. Or l’armée de Richelieu n’avait rien de tout cela. Elle se formait au hasard ; elle vivait d’anarchie, le pillage la nourrissait et le vol la payait. Quelle déchéance en somme pour quiconque évoque le souvenir de ces légions romaines si bien organisées, si bien conduites, pourvues à point nommé de ce qui leur était nécessaire. Sur aucun terrain, peut-être, n’apparaît plus sensible le retour à la barbarie qui avait suivi l’écroulement de la civilisation antique et que la généreuse droiture du moyen-âge n’avait pas réussi à enrayer. Certes la chevalerie institua l’une des conceptions militaires les plus nobles qu’ait engendré le cerveau de l’homme ; mais ce fut une conception sans force parce que basée sur la conscience individuelle et non pas sur des rouages collectifs. À de rares exceptions près, il n’avait plus existé depuis Rome d’armée régulière au vrai sens de ce mot. Les armées ressemblaient ni plus ni moins à des bandes de pillards.

En France — comme en d’autres pays du reste — les soldats se recrutaient soit par marchandage (c’était le cas pour les mercenaires étrangers), soit par enrôlement volontaire. Il y avait aussi la levée à laquelle on avait recours dans les moments de grande urgence. Il y eut des levées spontanées provoquées par l’imminence d’un péril vraiment national. C’est ainsi qu’au xviie siècle la prise de Corbie provoqua un élan qu’on peut très justement comparer à celui des volontaires de 1792. Dans la seule ville de Paris, en quelques jours, le roi se trouva pourvu de douze mille hommes et de trois mille chevaux ainsi que des ressources nécessaires à leur entretien pendant trois mois. Le reste du pays en fit autant. Mais quand l’opinion publique ne s’émouvait pas, la levée ne produisait guère. Elle consistait d’ordinaire à enjoindre aux « déserteurs, vagabonds et gens sans aveu » de se présenter sans retard pour être immatriculés ; ceux qui répondaient à l’appel touchaient une prime ; ceux qui n’y répondaient pas devenaient passibles des galères. Mais on conçoit que des troupes ainsi recrutées offraient peu de garanties ; la désertion ne tardait