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REVUE POUR LES FRANÇAIS

pays révolutionné, en perpétuel état d’anarchie et de brigandage : quatre vaisseaux paraissent, et ce pays devient l’un des plus tranquilles qui soient au monde… En doutez-vous ? Lisez plutôt la note diplomatique adressée aux puissances par la France et l’Espagne, hautes parties contractantes. Débarrassés du patriotique souci qui vous portait à considérer cette affaire marocaine comme infiniment dangereuse, semée de pièges pour la France, vous voilà rassurés.

À vrai dire, comme le remarque notre éminent confrère M. René Millet, dans sa chronique de la Revue politique et parlementaire, nous serions plus tranquilles encore en l’absence de certains témoignages privés qui sont venus fâcheusement troubler l’impression optimiste répandue par les documents officiels. Selon ces témoignages — qui nous présentent, d’ailleurs, de sérieuses garanties — l’ordre ne règne pas au Maroc, l’empire est à peu près aussi troublé que jadis, et, si l’amiral Touchard n’a pas débarqué de troupes c’est uniquement parce qu’à l’instigation du ministre d’Allemagne, l’amiral espagnol s’est opposé à toute démonstration violente. À les en croire, le Sultan Abdul Aziz se gausserait journellement de la République française en compagnie de son conseiller intime M. Vassel, consul d’Allemagne, et l’acte d’Algésiras — considéré par beaucoup d’entre nous comme un succès pour notre pays — leur semblerait un éclatant triomphe de leur malice sur notre naïveté.

Hélas ! lecteurs, en dépit des affirmations les plus solennelles, nous n’oserions pas nier la vraisemblance de cette interprétation. L’acte d’Algésiras nous a donné surtout des « apparences », réservant les « réalités » pour nos adversaires. Cantonnés sur la côte dans leur rôle ingrat de policiers et d’instructeurs, nos officiers, contrôlés par un colonel suisse, n’auront jamais la moindre occasion d’exercer quelque action réelle sur le gouvernement marocain. Au contraire, les Allemands, établis auprès du sultan, jouant auprès de lui le rôle fructueux de courtisans et de protecteurs contre les empiétements du « gendarme » français, en obtiendront ce qu’ils voudront. Car la volonté du sultan, « seule loi et seule règle dans un empire qui ne connaît ni loi ni règle », possède malgré tout quelque poids : il nous l’a déjà bien prouvé.

En attendant, des nuées d’industriels, de négociants, de voyageurs allemands — sans parler des missions du lieutenant Wolf et de l’ingénieur von Tschudy — envahissent le pays et l’envelop-