Page:Revue pour les français, T2, 1907.djvu/75

Cette page n’a pas encore été corrigée
525
CE QUI SE PASSE DANS LE MONDE

Aucune résolution utile n’a suivi ces débats. Il ne s’est pas trouvé un sénateur ou un député pour tenir les propos suivants :

« Nous perdons notre temps, Messieurs, à discuter l’indiscutable. Tous les voyageurs français qui ont visité l’Orient au cours de ces dernières années — j’entends, bien entendu, ceux qui y séjournèrent longuement, s’aventurèrent dans l’intérieur et ne se contentèrent pas d’un passage aux Échelles du Levant — tous ces voyageurs, dis je, sont d’accord pour nous affirmer que l’influence morale et intellectuelle de la France domine de très haut celle des autres nations ; tous nous ont assuré qu’ils avaient rencontré partout des indigènes parlant français, dévoués à la France, fiers de soutenir ses entreprises. Vous n’en rencontrerez pas un qui soutienne le contraire. Constatons-le donc avec joie. D’où que nous vienne cette influence, elle est profitable à la France. Mais les mêmes voyageurs dignes de foi témoignent aussi unanimement que le commerce et l’indnstrie français, jadis prépondérants dans tout l’Orient, sont victorieusement combattus par leurs concurrents étrangers. Cette décadence doit nous préoccuper.

« Pour beaucoup d’entre nous, mes chers collègues, la France est une nation exportatrice d’idées. C’est bien ; mais le commerce intellectuel rapporte peu et les peuples auxquels nous apportons la bonne parole ne s’en contenteront pas longtemps s’ils n’y trouvent pas un avantage pratique. Pour les indigènes du Levant, la connaissance de notre langue n’est pas un but : elle est un moyen de parvenir. Pourquoi l’ont-ils cherchée jusqu’à présent ? parce que les commerçants, les banquiers, les administrations de là-bas employaient de préférence ceux qui la connaissaient. Le jour où elle cessera de leur être avantageuse, ils ne l’apprendront plus malgré toutes les idées religieuses ou laïques que nous prétendrons leur mettre dans l’esprit. Ainsi, la meilleure manière de soutenir notre suprématie intellectuelle, c’est encore de grandir là-bas par tous les moyens notre action matérielle. Assurez cette action pratique et vous songerez plus tard à l’idéal ! »

Sans entourer d’une considération parfaite les sénateurs et députés de la nation française qui s’affirment depuis quelque temps plus habiles à satisfaire leurs intérêts particuliers — voire personnels — qu’à gérer les affaires publiques, nous pensons qu’un grand nombre d’entre eux auraient pu, de bonne foi, tenir un tel langage et qu’ils réprouvent la légèreté avec laquelle sont désormais traitées à la tribune française les questions d’intérêt national.