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REVUE POUR LES FRANÇAIS

les camarades reprendront confiance en le voyant. Une faute vient d’être commise sous ses yeux et il a été sur le point de réclamer, mais le capitaine n’a rien dit, l’arbitre n’a pas sifflé ; c’était un « coup franc » ou une « mêlée » avantageuse pour son camp. Quel dommage ! La pensée que l’arbitre est injuste lui traverse l’esprit ; il la chasse et continue de faire son devoir jusqu’au moment où la partie cesse. Alors, s’il peut se rendre cette justice que pas une fois il n’a eu peur, que pas une fois il n’a sacrifié l’intérêt de son camp au désir d’accomplir quelque prouesse individuelle, il sera content de lui… Nul ne peut dire que le jeune homme qui a passé par là ne soit pas mieux préparé qu’un autre au foot-ball de la vie.

On y retrouve, en effet, toutes les péripéties, toutes les émotions, toutes les obligations qui caractérisent le vrai fcot-ball ; on y retrouve la mêlée autour d’un ballon qu’il s’agit de capturer. Malheur à celui qui ne sait pas se battre ou qui tombe sous la poussée de ses voisins ! Malheur à celui qui, de crainte de recevoir un mauvais coup, se recule mal à propos. Malheur à celui qui hésite devant un parti à prendre et perd un temps précieux en tergiversations avec lui-même ! Malheur à celui que l’insuccès abat et qui se laisse aller au découragement ! Et à côté de la loi du labeur individuel qui vous commande d’être toujours prêt, à vous distinguer, toujours prêt à aller de l’avant, il y a la loi de solidarité sociale qui vous place malgré vous sous la dépendance de vos concitoyens ; ils forment l’équipe dont vous êtes un équipier. Le sifflet du destin — un arbitre bien souvent critiqué, mais qu’il faut subir, hélas ! — vous arrêtera dans une course victorieuse pour une faute dont un autre est responsable et la force brutale que vous rencontrerez sur votre chemin aura raison parfois de votre agilité et de votre présence d’esprit. Telle est la vie : il n’y a que deux choses à faire : ou bien pénétrer sur le terrain et se mêler hardiment aux joueurs — ou bien demeurer sur la lisière avec les spectateurs qui regardent, immobiles, et applaudissent.

D’aucun autre jeu on ne pourrait tirer une comparaison pareille. C’est dire toute la valeur morale du foot-ball[1]. En outre, c’est un jeu noblement démocratique qui place l’autorité entre les mains

  1. Nous ne parlons ici que du jeu de Rugby. Il y a une autre variété de foot-ball connue sous le nom d’Association et dont la valeur morale et la finesse de stratégie sont assurément bien moindres.