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REVUE POUR LES FRANÇAIS

mois, une dame et sa servante réussirent à fabriquer 487 mètres d’étoffe et 36 paires de bas. Les dames de Boston formèrent le club des « Filles de la Liberté » ; en un seul jour, elles filaient jusqu’à 232 écheveaux de laine. Le thé, dont l’usage était maintenant répandu, cessa d’être employé ; on le remplaça par une infusion de feuilles de framboisier. À New-York, la Société d’encouragement des arts et manufactures fonda une école de tissage pour les enfants pauvres et fit faire une énorme quantité de rouets et de métiers qu’elle loua aux habitants. En peu de mois, il y eut des gants, des meubles, de la toile, du drap, des harnais, des chaussures, et un grand marché s’ouvrit à New-York pour l’écoulement des produits. Assurément il n’y a rien de plus beau dans l’histoire que cet effort industriel de tout un peuple en révolte contre la servitude qui le menace.

La main-d’œuvre était abondante ; c’était plutôt les matières premières qui faisaient défaut. Quand on s’aperçut que la laine allait manquer, une nouvelle ligue se fonda, les membres s’engageant par serment à ne plus manger de moutons. Le centre de la résistance était l’association des « Fils de la Liberté », dont l’activité et l’ardeur infatigables ne se démentaient pas un instant. Ils organisaient des manifestations semblables à celles par lesquelles, de nos jours encore, les Américains ont coutume de traduire leurs émotions et leurs sentiments ; allégories à la fois pompeuses et naïves, processions interminables, cérémonies dont la forme enfantine souligne encore le sens grave et profond, comme il arrive chez les peuples à idées simples, à instincts primitifs. Le 1er  novembre 1765, jour où la loi du timbre devenait exécutoire, un deuil national fut observé sur toute la côte ; les cloches des églises tintèrent le glas funèbre, les affaires cessèrent, les drapeaux furent mis en berne. À Portsmouth, dans le New-Hampshire, on porta en terre le cercueil de la liberté. La presse prit soudain un grand développement. En 1775, il n’existait que 4 journaux tirant à 170.000 exemplaires : en 1745, ils furent 37, vendant 1.200.000 exemplaires à 3 millions d’habitants. Ils étaient, en général, rédigés par d’ardents patriotes, et la Boston Gazette, en publiant le texte du discours de Patrick Henry au parlement virginien, reprochait aux politiciens en congélation (frozen politicians) de la Nouvelle-Angleterre leur prudence et leur modération. Cette modération, précisément, fut une des plus belles caractéristiques de l’époque. En détruisant ou en confis-