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CE QUI SE PASSE DANS LE MONDE

viticulteurs et ce serait la seule solution désirable. Ces malheureux viticulteurs devraient en effet s’entendre répéter par quelqu’un d’autorisé ces paroles qu’on ne leur adresse que timidement, malgré qu’elles résument et expliquent la situation : si vous ne pouvez vendre votre vin qu’à vil prix, c’est qu’apparemment vous en produisez plus que le consommateur ne désire en absorber. Mais la mentalité du viticulteur lui représente maintenant l’État comme un Dieu tout-puissant capable de boire ou de faire boire toutes ses récoltes. C’est pourquoi il invoque l’État en le menaçant comme certaines dévotes en usent avec les saints dont elles honorent les images ou les statuettes.

Les journaux ayant été remplis de détails sur les mesures à prendre ou à ne pas prendre, nous nous abstiendrons de toucher à ce sujet. Mais nous rappellerons, d’après un remarquable article publié dans l’Énergie française par M. Baron, secrétaire d’une des chambres syndicales vinicoles de Paris, que cette crise d’abondance n’est pas nouvelle dans les annales de la France contemporaine. En 1850, les populations presque ruinées par une série d’années surproductives, se trouvaient dans une situation similaire à celle d’aujourd’hui. L’oïdium survint, terrible remède qui obligea à une reconstitution des vignobles épuisés et peu capables de résister au fléau. En 1864, le mal était réparé et les grosses récoltes reprirent. En 1870, les vins tombèrent de nouveau à 5 francs l’hectolitre, prix qu’ils n’ont pas encore atteint cette fois. Une période d’activité commerciale qui suivit la guerre de 1870, ranima les cours ; mais, vers 1875, la crise allait reprendre, quand survint le phylloxéra — pour parler plus exactement, quand le phylloxéra, comme jadis l’oïdium, trouva de nouveau les vignobles épuisés par la surproduction et les ravagea. De 1877 à 1884. la disette fut extrême dans le midi de la France. Il n’y avait pas même assez de vin pour alimenter les habitants ; de 1885 à 1893, la prospérité reparut ; les vins se vendirent de 30 à 35 francs l’hectolitre. Aussi l’imprévoyance se donna libre carrière ; on planta follement. De 1894 à 1898, les prix se tinrent entre 15 et 25 francs. Puis, à partir de 1900, ce furent de grosses récoltes à nouveau et la crise alla s’exaspérant. Que la fraude n’y soit pas pour quelque chose, on ne saurait le dire. Le dégrèvement des taxes d’octroi sur les boissons voté en 1900 n’a accru que dans des proportions assez faibles la consommation et il a donné une apparence de justification à la vente — à des prix tellement bas qu’aucun vin naturel n’y saurait