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UNE GUERRE DE CENT ANS

Beaulieu, à considérer les possessions anglaises des deux mondes comme formant un tout, composé de deux parties distinctes : l’une où se produisaient certaines matières premières et certaines denrées naturelles spéciales, l’autre fournissant surtout des produits manufacturés et l’on avait jugé que ces deux parties se pouvaient suffire l’une à l’autre si les habitants de l’Angleterre s’engageaient à ne consommer que des denrées produites par les colons anglais et si les colons anglais, d’autre part, s’engageaient à n’employer que les objets manufacturés fabriqués par l’Angleterre. » Il y eut quelques dérogations dans les années de cherté. En 1730 et 1735, on dispensa le riz du circuit obligatoire par l’Angleterre. En 1757, on admit que le blé vint d’Amérique sur des vaisseaux neutres. Des faveurs furent parfois accordées sous forme de primes : prime pour l’indigo en 1748, pour le lin et le chanvre en 1764, pour la soie brute en 1770. Une autre forme de faveur consistait dans les droits différentiels qui frappaient des produits similaires étrangers ; tel produit étranger payait le double de ce que payait le même produit issu des colonies anglaises. Donc, « d’un côté, interdiction aux colonies de s’adonner à l’industrie et obligation, sauf quelques exceptions, de se fournir d’objets manufacturés anglais ; de l’autre côté, faveurs spéciales accordées aux colons pour la production de certains produits naturels nécessaires à la métropole et obligation pour la mère patrie de prendre les denrées coloniales de préférence aux denrées étrangères[1] ». Quatre ou cinq générations de politiques subtils avaient édifié ce monument de bêtise humaine devant lequel l’Angleterre tout entière se tint en admiration, on pourrait dire en vénération, pendant de longues années. Aussi, lorsque la révolution se produisit au-delà des mers, en Angleterre la consternation fut générale. Déjà, les habitants de Bristol entrevoyaient leur port déserté et l’herbe poussant sur les quais de débarquement. Or, dès 1784, au lendemain de la paix, le commerce avec l’Amérique affranchie s’accrut au point que peu d’années après il fallut agrandir le port de Bristol. Cette preuve éclatante de l’inanité du système mercantile n’empêcha pas que l’on ne continuât d’en faire aux Antilles une application désastreuse. Cet état de choses n’avait pas seulement, à l’époque que nous étudions, l’inconvénient de rendre la révolution inévitable dans un avenir plus ou moins éloigné, il avait encore celui d’aveu-

  1. Leroy-Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes.