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REVUE POUR LES FRANÇAIS

n’importe qui un enseignement quelconque. Ce qui prouve qu’Andronicos devait être assez peu cultivé, c’est qu’il confectionna une abominable traduction de l’Odyssée, pour servir de livre de classe à ses élèves. Et cette traduction demeura en vogue jusqu’au temps d’Horace. Un si grossier vestibule était-il donc nécessaire pour initier la mentalité romaine aux beautés pures de la pensée et de l’art grecs ? Vers l’an 514, Andronicos, qui paraît du moins avoir puisé dans sa seconde patrie le sens peu hellène de la persévérance, introduisit à Rome le théâtre grec, en le déformant de façon moins cruelle et le peuple s’y intéressa. Vingt-trois ans plus tard, enfin, alors très âgé, il composait, pour célébrer les victoires récentes sur les Carthaginois, un hymne à Junon, qu’une troupe de jeunes filles chantèrent et dansèrent dans le Forum « ouvrage, dit Tite-Live, qui blesserait notre goût, mais semblait alors digne d’éloges ». Andronicos avait donc, comme le remarque M. Boissier, fait connaître successivement aux Romains l’épopée, le drame et la poésie lyrique. Il faut admettre que ce subalterne a passablement mérité de l’humanité et le royaume d’Italie s’honorerait aujourd’hui en lui élevant un bout de monument.

Ce qu’Andronicos accomplissait ainsi, un peu vulgairement et sur la place publique, d’autres y travaillaient de façon raffinée au sein des familles les plus en vue de l’aristocratie. Là résidaient, temporairement ou même en permanence, des Grecs éminents chargés de l’éducation des jeunes gens, de la formation des bibliothèques, du développement intellectuel de tout un milieu. Des amitiés fortes et durables les unissaient le plus souvent à ceux qu’ils enseignaient. Ce fut le cas pour ces hommes illustres qui s’appelèrent Panætius et Polybe. Le destin cruel n’a rien laissé survivre des œuvres du « divin » Panætius. On sait seulement qu’il fut à Rome le père de la philosophie ; il l’apporta de Grèce et sut assez bien l’accommoder à l’esprit romain pour l’implanter solidement. Quand à Polybe, il résida plus de dix-sept ans dans la maison de Paul-Émile, y forma le fils de son hôte, Scipion Émilien, et y composa sa grande Histoire. C’était un partisan de la méthode expérimentale et des procédés scientifiqnes. Son cerveau clair et sans préjugés ne se payait pas de mots ; il voyageait, interrogeait, déduisait, comparait ; le surnaturel n’existait pas pour lui. Celui là ne partageait pas à l’égard des Romains les opinions intimes de ses compatriotes ; il les admirait et les aimait ; il sentait que l’âge du monde allait passer désormais par Rome et que cela dure-