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REVUE POUR LES FRANÇAIS

fixé au lendemain l’audience que lui avait demandée pour nous notre consul.

Nous imaginions que Sa Hautesse le Sultan de Mascate, héritier d’un titre pompeux sinon d’un grand pouvoir, représentant de l’indépendance arabe, descendant d’une illustre famille, menait dans son palais de carton l’existence ridicule des souverains asiatiques ruinés et déchus qui n’ont voulu avouer ni leur déchéance ni leur ruine, jouent au grand prince avec des habits étincelants de pierres fausses, commandent à quelques gardes costumés comme des singes qu’ils traitent comme une armée redoutable et affichent à l’égard des Européens qu’ils daignent recevoir une étiquette d’un rigorisme inconnu dans nos vieux pays. Nous nous trompions absolument. Le sultan de Mascate est vêtu comme le plus simple de ses sujets ; sa garde personnelle consiste en quelques esclaves nègres à peine vêtus ; il sait sa déchéance, il sait sa pauvreté, il les avoue, il les étale sans amertume. Nous n’avons nulle envie d’en sourire : une telle simplicité chez un homme aussi grand, aussi noble d’allure, nous en impose et nous séduit.

Précédés de notre cavass drapé d’un manteau rouge, nous entrons dans la cour du palais. Nous allons gravir l’escalier extérieur qui conduit aux appartements de Sa Hautesse, quand un homme en descend quatre à quatre, nous salue et nous tend les deux mains en criant « soyez le bienvenu » : c’est le sultan lui-même qui aftecte ainsi son mépris de tout protocole. Assis dans une grande salle à peine meublée autour d’une table misérable, nous causons du pays d’Oman et le sultan nous parle de la France, du grand pays que notre consul lui a fait connaître et aimer. Il nous parle de Napoléon qui jouit parmi tous les Arabes d’une popularité inouie et s’extasie sur les mérites de la nation qui produisit un homme aussi puissant et supérieur à tous les autres. Nous l’observons attentivement : c’est un homme jeune encore, au beau visage encadré de barbe noire et animé par le regard noble et vif de deux yeux magnifiques. Il semble peu instruit mais très intelligent et avide de connaître. Comme nous allons prendre congé, il jette les yeux sur notre carte de visite, la tourne, la retourne ; il nous avoue qu’il n’en a pas et qu’il serait bien heureux d’en posséder ; il nous en demande le prix, s’étonne du bon marché, s’en réjouit et se promet tout haut d’en commander un cent au prochain passage de la malle. Il tient à nous accompagner jusqu’à la rue et nous remercie de notre visite en promet-