Page:Revue pour les français, T2, 1907.djvu/137

Cette page n’a pas encore été corrigée
581
CE QUI RESTERA DU SOCIALISME

poursuivait-elle l’établissement d’un césarisme militaire ?… C’est l’essence même des grands mouvements qu’ils échappent au contrôle de leurs initiateurs pour tomber entre les mains de la foule. Alors ils s’infléchissent et prennent une direction parfois presque inverse mais en tout cas sensiblement différente de celle dans laquelle on prétendait les maintenir. De plus, ils sont en général issus de quelque conception absolue supposant une transformation préalable de la nature humaine. La possibilité de la paix perpétuelle, du règne de la vertu, de la suppression des intérêts individuels ou des conflits économiques, voilà les fondements sur lesquels, consciemment ou inconsciemment, ils reposent presque tous à l’origine. Or, la nature humaine reparaît toujours avec ses passions et ses tendances essentielles, les mêmes, sans doute, depuis les commencements insondables, les mêmes en tous cas, du plus loin que nous la pouvons apercevoir à l’œuvre.

Quant à l’ampleur et à la durée de ces mouvements, elles sont proportionnelles au plus ou moins d’harmonie existant entre les législations auxquelles ils donnent naissance et les mœurs traditionnelles ou les instincts naissants des populations auxquelles ces législations s’appliquent. La loi ne réforme les mœurs établies que superficiellement et ne crée des instincts nouveaux que de façon accidentelle et sur des points de détail. Si elle est en contradiction avec l’esprit général, sa durée ne saurait être qu’éphémère. Nous disons éphémère dans le sens où l’entendent, non pas ceux qui comptent par mois ou par an, mais ceux qui comptent par décades. Qu’est-ce que dix ans ou vingt ans dans la vie d’un peuple ?

Ces prémisses posées, il est impossible de nier que le mouvement socialiste ne soit un grand mouvement. Il en a toutes les caractéristiques. La foule déjà s’en empare, et y étant plus directement intéressée qu’à un aucun autre, elle y fera d’autant plus fortement sentir son influence. Son évolution s’opère sous nos yeux et nous le voyons « user ses prophètes » et modifier leurs dogmes ainsi qu’on devait s’y attendre… Enfin, à sa base figure la transformation préalable de l’individu, la plus radicale qui ait jamais été escomptée puisqu’il s’agit des ressorts habituels de l’activité humaine, lesquels doivent se détendre et être remplacés par d’autres. Si donc nous voulons savoir ce qui restera du socialisme, ayant d’ailleurs la certitude qu’il en restera quelque chose et que ce quelque chose ne saurait être l’objet de ses revendica-