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UNE FAMILLE D’AUTREFOIS

Québec était une petite ville, Trois-Rivières et Montréal deux bourgades, Lachine un poste avancé. Le long du Saint-Laurent, des fermes s’étendaient ; au lac Champlain il y avait une station militaire et dans l’ouest des missions de Jésuites. Les récoltes étaient belles, les magasins remplis. De 8.000 en 1675 le nombre des habitants passait à 12.000 en 1682. Mais de temps à autre les Iroquois faisaient parler d’eux. En 1684, déjà atteint par la maladie qui devait l’emporter Charles Le Moyne, dont l’influence sur eux allait grandissant leur imposa un dernier traité. Il mourut l’année suivante et fut enseveli dans l’église de Notre-Dame de Montréal. Soldat, diplomate, agriculteur, homme d’affaires, il avait cent fois exposé sa vie pour le bien public, mais sans négliger pourtant le souci de sa fortune et de sa race. Parti de rien, il possédait à sa mort cent vingt-cinq mille livres. Le roi lui avait en 1658 octroyé des lettres d’ennoblissement. Son ambition et son enthousiasme se doublaient, mais dans la mesure désirable d’un grand sens pratique. Il savait assurément ce que tant de ses concitoyens persistèrent, hélas ! à ignorer ; c’est que le bon ouvrier de la métropole en terre lointaine est l’homme qui établit solidement son foyer et jette dans le sol les bases d’une richesse personnelle de bon aloi. Charles Le Moyne laissait quatorze enfants dont treize vivants[1] : deux filles et onze fils auxquels il avait dû inculquer de tels principes ; mais les circonstances furent les plus fortes. Un seul excepté, tous « prirent le parti de la guerre », comme l’a écrit d’Iberville dans un mémoire où il demandait une place de conseiller au Conseil de Saint-Domingue pour ce frère rebelle au métier des armes dont la trace, d’ailleurs, s’est perdue depuis.

La famille Le Moyne comptait alors trois branches principales. La première, issue de Pierre Le Moyne frère aîné de Charles, était fixée à Rouen ; elle était représentée par deux fils de ce dernier, l’un qui avait succédé à son père dans la profession de maître chirurgien juré, membre de la confrérie des saints Côme et

  1. Sa femme, Catherine Primot, avait été élevée à bonne école. Née à Rouen, elle était venue toute petite au Canada et s’y était familiarisée avec l’imprévu et les dangers de l’exislence coloniale. Sa mère était connue pour la façon héroïque dont, attaquée par des Iroquois à quelque distance de sa demeure, elle s’était défendue et, malgré qu’elle fut atteinte de sept coups de hache avait tenu ses agresseurs en respect jusqu’à ce qu’on vint à son secours.