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REVUE POUR LES FRANÇAIS

civilisatrices eussent fait de lui l’agent le plus précieux pour l’affermissement définitif de l’influence française dans l’Amérique du Nord si toutes sortes d’intrigues n’étaient venues à tant de reprises contrecarrer ses projets et annihiler la portée de ses initiatives. À un moment des huguenots dieppois passés au service de l’Angleterre s’emparèrent de Québec qui fut rendu à la France en 1632. Mais la Métropole se souciait si peu de cette possession que la proposition de l’évacuer trouva grande faveur. Ce fut Champlain qui obtint de Richelieu une résistance efficace à un pareil projet. Richelieu lui envoya même des subventions en vue de la construction d’un collège et d’un hôpital. À la mort de Champlain, survenue en 1635, il y avait en tout au Canada deux cents colons français et trois à quatre cents soldats campés à Trois-Rivières et à Québec. Villemarie, le futur Montréal ne devait être fondé que sept ans plus tard. Le péril immédiat était du moins conjuré. La crise avait pris fin.

Tel était le Canada au moment où le jeune Charles Le Moyne y débarquait. Il s’y plut tout de suite. À dix-neuf ans, il était interprète à Trois-Rivières : au bout d’un an il revint exercer le même métier à Montréal. En 1651, il fut investi des fonctions de garde magasin. En 1653, il négocia avec les Iroquois une paix difficile que ceux-ci ne tardèrent pas à rompre traîtreusement. Ce fut alors Charles Le Moyne qui organisa la défense de la ville ; il le fit avec une maîtrise incomparable, et de nouveau, l’attaque repoussée, on le chargea des négociations. Ce succès lui valut le poste de chef de la milice et de capitaine de Montréal ; il fut bientôt nommé procureur du roi. Les Iroquois qui lui en voulaient probablement des conditions de paix que sa diplomatie avait su leur imposer, s’emparèrent de lui en 1665 et le retinrent prisonnier quelques mois. C’était l’heure où l’initiative de Colbert se traduisait par un envoi de troupes fort opportun. Les sauvages se soumirent en 1666.

Cette aventure du reste ne tempéra pas le zèle combatif de Charles Le Moyne et n’entama en rien son esprit d’entreprise. À peine libéré il créa une compagnie municipale dite des Cent habitants et se mit à la tête de ces volontaires pour une expédition au lac Champlain tout comme devait faire deux siècles plus tard avec ses Rough riders Théodore Roosevelt dont Charles Le Moyne rappelle par plus d’un trait l’énergique et intelligente silhouette. Le Canada vécut alors des années prospères.