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FRANÇAIS ET ROMAINS EN AFRIQUE

n’aurait-elle pas excédé les ressources des budgets ? Il est évident qu’il eût fallu recourir au moyen adopté par les anciens qui n’étaient pas plus désireux que nous d’obérer inutilement leurs finances. Ce moyen c’était la main-d’œuvre militaire — et ici s’accuse une deuxième infériorité. Les Français n’ont point su tirer des 60.000 hommes qu’ils entretiennent en Afrique un parti équivalent à ce que les Romains obtinrent de leurs 30.000 soldats ; car c’est aux environs de ce chiffre que, d’après le savant historien Mommsen, la critique se tient. La légion a constitué non pas seulement l’une des plus durables mais aussi des plus audacieuses institutions du monde romain. Elle a poussé la permanence aussi loin qu’elle peut être poussée puisque la profession a fini par devenir héréditaire et que les enfants des légionnaires ont succédé à leurs pères ; son patriotisme, sa fidélité et son ardeur au travail n’en ont point souffert. Elle a atteint aux extrêmes limites du libéralisme puisque les soldats ont eu permission d’avoir leur foyer aux portes de la caserne et d’y vivre en famille hors des heures de service ; la discipline pourtant est demeurée saine et stricte. Enfin elle a étendu le cercle de ses travaux au delà de tout ce qui fut jamais demandé à une troupe armée ; et sa valeur militaire n’en a pas été diminuée. C’est ce dernier point qui mérite de retenir l’attention. La légion romaine se suffisait à elle-même et pouvait, à elle toute seule, construire une ville ; elle possédait des terrassiers, des maçons, des peintres ; elle possédait aussi des architectes, des ingénieurs et des sculpteurs. La pratique de n’importe quel métier s’accommodait avec le métier militaire : tout soldat se doublait d’un ouvrier. Sans examiner s’il n’y aurait pas là les éléments d’une solution des divers problèmes que soulève le militarisme contemporain, on peut dire que l’Afrique romaine a été en majeure partie l’œuvre des légions qui, non seulement, en ont conquis le sol mais en ont construit les routes, les aqueducs, les édifices. Les Français et les Européens en général n’osent pas demander à leurs soldats des efforts analogues, hormis lorsqu’il s’agit de fonder quelque poste avancé dans une région encore inconnue ou insoumise. Pourquoi ?…

Parmi les travaux auxquels s’employaient si utilement les légionnaires, il convient de citer en première ligne l’irrigation et la sylviculture. On demeure stupéfait en constatant tout ce que les Romains avaient su faire à cet égard. Les témoignages en ce qui concerne l’irrigation sont irrécusables. Des endroits aujour-