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NOTES SUR L’ALLEMAGNE IMPÉRIALE

l’intermédiaire entre Dieu et l’humanité et qu’il reçoit d’en haut des clartés directes et spéciales ; et, sous ce rapport, le plus pontife des deux, c’est peut-être le laïque. La sincérité de Guillaume ii est absolue ; on ne peut le comprendre qu’à condition de n’en pas douter. Il prie avec une ferveur intense ; la notion du devoir est perpétuellement présente devant lui et le tient dans une espèce de mobilisation morale permanente aussi dangereuse qu’elle est sublime. Si son Dieu, en effet, n’est pas le farouche Iahvé des Hébreux, c’est un Dieu qui préfère la paix mais qui ne reculerait point devant l’hécatombe. Du ciel pourrait ainsi tomber un jour sur l’Europe effarée l’ordre de jeter deux cent mille hommes à une mort certaine. Si l’empereur allemand en venait à se convaincre qu’en faisant la guerre il répond à la volonté de Dieu, aucune considération humanitaire ne ferait hésiter son bras. Telle est sa conscience de prince du moyen âge. Quant à sa mentalité, elle se concentre presque uniquement dans un modernisme exalté. Anxieux de progrès, assoiffé d’inventions, se jetant sur les idées inédites avec autant d’empressement que sur les outils neufs, Guillaume ii étonne par sa promptitude d’assimilation une époque qui ne pêche pas précisément par l’esprit de lenteur ni par le culte du vieillot.

L’Allemagne ne ressemble pas à son empereur. C’est un pays de brumes intellectuelles qu’éclairait jadis la beauté de la poésie sentimentale ou épique, qu’assombrit aujourd’hui la lourdeur d’une philosophie épaisse et compliquée. Or la ligne de conduite d’une race ne saurait dériver de la poésie ni de la philosophie ; elle doit être déduite d’un accord entre les instincts de la race et les faits extérieurs. Et cet accord, l’Allemagne paraît incapable de le réaliser ; elle n’en éprouve pas même le besoin. Ses principes conducteurs lui viennent de l’étrange amas d’extravagances assemblées par les théoriciens de l’État ou des conclusions audacieuses auxquelles ont abouti la fantaisie scientifique et les préjugés orgueilleux de ses historiens. De là sont issus les deux formidables groupements avec lesquels le pouvoir est obligé de compter : le groupement socialiste et le groupement catholique.