Page:Revue pour les français, T1, 1906.djvu/85

Cette page a été validée par deux contributeurs.
55
NOTES SUR L’ALLEMAGNE IMPÉRIALE

médiocre. La beauté de son vouloir dissimula la pauvreté de ses vues. On le haussa au rang des grands génies. Il en descend chaque jour. Son principal défaut fut d’éclipser, sa vie durant, le prince infiniment plus éclairé que lui-même au service duquel se dépensait son entêtement. Les contemporains ont loué Guillaume ier d’avoir subi avec patience le joug du chancelier ; la postérité lui reprochera au contraire de n’avoir pas osé s’y soustraire. Leurs conceptions ne s’accordaient point. Otto de Bismarck jugeait de toutes choses en Prussien rétréci. Le roi de Prusse, lui, avait la mentalité d’un véritable empereur allemand. Après Sadowa il voulut ceindre la couronne de Bohême. Il se rappelait que l’Allemagne avait deux capitales Berlin et Vienne et qu’entre elles, presque à mi-distance sur la ligne qui les unit, se trouve Prague ; il sentait que les Tchèques, hypnotisés par le désir de voir relever le trône de saint Wenceslas, acclameraient pour souverain celui qui le premier oserait s’y asseoir. Il devinait aussi qu’une Bohême heureuse constituerait entre des mains allemandes une sorte d’otage de la paix slave… toutes choses profondément politiques. Par là Guillaume ier indiquait qu’il s’était fait une exacte conception de l’avenir allemand. L’Allemagne impériale devait à ses yeux constituer par sa puissance, sa richesse et son savoir le centre d’attraction des nationalités tangentes à elle et moindres par le nombre ou par la culture. Bismarck en jugeait tout autrement. Il n’avait d’autre ambition que d’accroître la Prusse de tout ce qu’elle pourrait placer et retenir sous sa domination.

Il en fut ainsi. On prussianisa à outrance. La Bavière, la Saxe, le Wurtemberg et le Grand-duché de Bade furent invités à servir en qualité de lieutenants sous la rude capitainerie de la Prusse. Les villes libres, Brême, Lubeck, Hambourg devaient jouer le rôle de fourriers. On blinda les portes de l’Alsace-Lorraine ; on obtint de François-Joseph qu’il consentit à veiller aux frontières, comme une sorte de vicaire impérial, sur la sécurité du germanisme. Le roi de Prusse gouverna l’empire avec son chancelier. Il y eut une Chambre des Députés (le Reichstag) et un Conseil fédéral (le Bundesrath) mais dans le Reichstag les voix prussiennes avaient la majorité et le Bundesrath était placé sous la présidence du chancelier lequel était, d’autre part, président