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REVUE POUR LES FRANÇAIS

UNE GUERRE DE CENT ANS

(1689-1783)



L’étude approfondie des événements dont l’Amérique du nord fut le théâtre pendant les dernières années du xviie siècle et la plus grande partie du xviiie permet de relever une erreur dans laquelle sont tombés la plupart des historiens européens. Ils ont attribué aux Anglais le renversement de la puissance française dans le Nouveau-monde. La prise de Québec leur a masqué les événements qui l’avaient précédée. L’importance de ce fait d’armes, ses conséquences, son caractère héroïque, les deux grands noms qui s’y trouvent associés ont seuls pu détourner un instant leurs regards de la lutte engagée en Europe sous les prétextes les plus divers et qui fut, en somme, un long duel à trois entre la France, l’Angleterre et l’Allemagne pour la prépondérance du vieux monde. Ils ont enregistré la victoire de Wolfe comme un des incidents prépondérants de cette lutte et ont négligé de s’apercevoir qu’elle était le commencement et le résultat d’une série de victoires dont les Anglais n’ont jamais aimé à parler parce que ce furent les Américains qui les remportèrent. Il n’est pas permis de les ignorer pourtant car elles constituent l’avant-propos de la guerre de l’Indépendance. C’est dans ces combats que se fortifièrent et s’aguerrirent les milices coloniales. Faute de suivre leurs progrès dans la rude carrière que les circonstances leur firent parcourir, on demeure interdit devant le résultat atteint. Comment concevoir en effet que des soldats improvisés n’ayant ni l’habitude de la discipline ni l’expérience de la guerre ni surtout cette confiance que donne à des troupes en campagne la bonne organisation des services d’approvisionnement, comment concevoir que de tels soldats aient pu résister aux vétérans britanniques et forcer la mère patrie, après quatre années d’efforts, à s’avouer vaincue ? Le problème ainsi posé est insoluble. On le résout en donnant à l’intervention de la France un caractère décisif qui n’est point conforme à la réalité. L’alliance française apporta aux colonies révoltées une force morale dont elles auraient eu beaucoup de peine à se passer. Mais l’appoint matériel fut faible et tardif. La vérité, c’est que fortement trempées par quatre vingts ans de lutte armée,