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LA FRANCE COLONIALE

Les colonies et la concurrence

Sans vouloir examiner ici tous les aspects du problème colonial — ce qui dépasserait le cadre de cette étude et nous entraînerait bien au-delà du but proposé — je tiens à réfuter encore une objection qui vient naturellement aux lèvres après mes réflexions du dernier paragraphe : celle de la concurrence économique que nous allons universaliser en fournissant à des millions d’hommes jusqu’à présent inoffensifs des armes qu’ils pourront utiliser contre nous-mêmes. Ne dissimulons pas ce danger, connaissons-le, sachons nous en défendre, mais gardons-nous de l’exagérer.

L’émancipation économique de nos colonies est si lointaine qu’il semble un peu puéril d’épiloguer dès à présent sur son caractère. Nous possédons sur elles une formidable avance ; il dépend de nous de la conserver longtemps encore. En attendant, nous augmentons notre richesse acquise et entassons d’immenses réserves qui profiteront tôt ou tard, quoi qu’en prétendent certains théoriciens, à la masse de nos populations.

Rien ne prouve, d’ailleurs, que l’universalisation de la concurrence soit funeste à nos sociétés. On nous menace de surproduction. « Le jour où nos colonies auront su conquérir leur émancipation économique, le bas prix de leur main-d’œuvre leur fournira sur nous des avantages particuliers, affirment nos prophètes. » Ceux-là oublient qu’il s’ensuivra dans ces mêmes colonies une émancipation sociale et une croissance de besoins telles que les avantages qu’ils invoquent n’existeront plus. On cite l’exemple du Japon. J’y suis allé tout spécialement pour étudier la grande industrie naissante et j’ai acquis la conviction que dans les conditions actuelles le bas prix de la main-d’œuvre et sa grande abondance constituent pour cette industrie des avantages presque illusoires à peu près compensés dans les pays d’Europe et d’Amérique par la qualité du travail et par sa régularité. Il en sera de même en tous pays. Les salaires augmenteront peu à peu : le jour où l’ouvrier colonial fournira une production équivalente à celle de l’ouvrier européen, soyez sûr qu’il n’acceptera plus de salaire dérisoire. Il consommera en conséquence et la surproduction dont on nous menace saura difficilement l’emporter alors sur ses demandes.

À ce moment, par la mise en valeur des terres et l’établissement de relations entre tous les hommes, le « colonialisme », loin