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des l’avaient séduit autant que lui déplurent les personnes : la meilleure preuve, c’est qu’il sut en tirer profit. Pendant plus d’un demi siècle — 1584 à 1638 — l’influence européenne s’était fait sentir partout, dans toutes les classes de la société. Il en resta quelque chose. En dépit des édits proscripteurs ces ferments de civilisation à notre manière étaient tombés sur une terre féconde et ont fertilisé. Les seigneurs Japonais n’ont pas perdu contact avec l’Europe. À la première occasion ils ont montré qu’ils étaient prêts et ont fait subir à leur pays une transformation matérielle tellement radicale qu’elle a stupéfié tous les étrangers. En réalité, cette transformation étonnante, admirable, n’a rien d’inexplicable après un tel passé. L’élite de la société japonaise, les chefs de clans, les chevaliers donnant l’exemple, le peuple a imité spontanément ses modèles séculaires et s’est plié sans résistance aux nécessités du progrès.

ii. — Comment la transformation s’accomplit

À peine le Japon eut-il repris contact avec l’Europe qu’il mesura son infériorité. Son orgueil en souffrit. Il voulut s’affranchir. Allait-il, comme au xviie siècle, jeter les Occidentaux à la mer ? Il jugea plus avantageux d’en tirer parti. Il subit avec une admirable patience un joug qui lui pesait durement. Il accepta tout, même l’aliénation humiliante de parcelles de son territoire où s’établirent des « concessions » européennes, où s’installèrent les étrangers maîtres chez eux. Il se fit tout petit garçon, docile, aimable, séduisant, et se mit bravement au travail en cherchant dans le monde entier l’intelligence et le savoir nécessaires à sa transformation.

Souffrant cruellement de sa faiblesse, il voulut avant tout devenir fort. L’ancien régime lui avait transmis une population guerrière, mais pas d’armée. On se battait à coups de sabre, au temps du vieux Japon : l’Empereur avait à peine quelques canons démodés, toute sa marine se composait de quelques jonques. Le gouvernement japonais s’adressa d’abord à la France qui lui constitua par l’intermédiaire de ses officiers et de ses ingénieurs une flotte et une armée modernes. Les seigneurs d’autrefois, dépouillés de leurs armures et de leurs sabres courbés, parcoururent l’univers entier, observèrent, étudièrent, revinrent chez eux et remplacèrent