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LE JAPON TEL QU’IL EST

Dans un ordre d’idées moins simple, il serait malaisé de découvrir un de ses sujets qui ne soit prêt à tout sacrifier pour l’empereur. Dans les écoles, on enseigne aux enfants qu’il n’est pas de plus grand honneur et qu’il ne doit pas être de bonheur plus parfait que d’exposer sa vie pour lui. On en a vu, à la suite de ces leçons, qui, dans un incendie, se jetaient au milieu des flammes pour en arracher son portrait. Lorsqu’on a observé des faits de ce genre, on doit reconnaître que la légende vivra longtemps encore qui proclama les Mikados « souverains à perpétuité », car elle exprime bien réellement la volonté du peuple entier.

L’année 1868, consacrant la restauration du pouvoir impérial, inaugura l’époque nouvelle désignée par les Japonais sous le nom de Meiji.

La plupart des étrangers attribuent cette révolution à l’action des Européens. C’est inexact. Cette action a précipité les événements, sans doute, mais elle ne les a pas déterminés. Lorsqu’en 1853, l’escadre américaine du commodore Perry réclama l’ouverture du Japon au commerce extérieur, tout était prêt là-bas pour un changement de régime. Les étrangers, d’ailleurs, avaient eu leur part d’influence — une part considérable, même, — dans la préparation à ce changement ; mais elle datait de loin.

L’esprit d’imitation et la curiosité sont dans le caractère nippon. Ainsi les Japonais de haut rang, copiés par les masses, copiaient eux-mêmes depuis longtemps les Occidentaux. Sans insister sur les emprunts nombreux qu’il a faits à la civilisation chinoise, nous devons retenir que le Japon s’est déjà ouvert au xviie siècle à la pénétration européenne. Il s’est alors développé, toutes proportions gardées, d’une manière aussi étonnante qu’à présent. Mais les Européens de ce temps traitaient mal les hommes de couleur, ménageaient peu leurs susceptibilités, exagéraient l’affirmation de leur propre supériorité : les Japonais, froissés dans leur orgueil, se révoltèrent, chassèrent les blancs, exterminèrent leurs prosélytes et refermèrent leurs portes. C’était en 1638. Les Hollandais et les Chinois, parqués dans un îlot de la baie de Nagasaki, furent désormais seuls tolérés comme intermédiaires avec le reste du monde ; les édits défendirent de fréquenter des étrangers, interdirent la culture de leurs langues, prohibèrent même la construction des navires de haute mer. Le Japon fut de nouveau complètement isolé, et les Occidentaux conclurent naturellement qu’il ne voulait pas de notre progrès. Grave erreur ! Les métho-