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REVUE POUR LES FRANÇAIS

les chevaliers. Le peuple entier suivait, discipliné, admiratif, et servilement imitateur. L’élite, les dirigeants servaient de modèles à tous, et les moindres actions du dernier venu ne prenaient de valeur à ses yeux que dans la mesure où elles le rapprochaient de ces modèles.

Les règles de chevalerie dominaient toute la société. Elles ont achevé l’âme japonaise, et leur influence est si grande, aujourd’hui encore, qu’il nous paraît utile d’y insister très spécialement.

La première de ces lois, c’est la piété filiale. On doit à ses père et mère non seulement de les respecter, mais de pourvoir à leurs besoins. Les enfants sont mis au monde pour nourrir leurs parents, et tous les moyens sont bons pour l’observation de ce précepte. Les filles, comme les fils, doivent travailler, et si leur travail ne suffit pas, elles se vendent. La plus grande partie des prostituées japonaises en sont arrivées à cet état par nécessité, par devoir, et c’est pourquoi — fait incompréhensible si nous ne tenons pas compte de ces traditions — leur condition n’est généralement pas considérée comme humiliante. Elle semble naturelle, et dans certains cas, même, on admire le courage de celle qui s’y soumet par amour pour les siens.

De la sorte, on ignore, en fait, le souci de la vie. Grâce aux enfants, à la famille ou aux amis, on est sûr de pouvoir vivre : on vit gaiement, au jour le jour, sans penser à l’avenir. L’exagération de la piété filiale a donné ainsi naissance au sentiment d’imprévoyance. Par exemple, on n’épargne pas ; l’économie est une honte ! L’amour du plaisir domine tout, du haut en bas de l’échelle sociale.

Mais ces dispositions ont à présent des inconvénients graves qu’elles ne présentaient pas jadis. La vie est devenue beaucoup plus difficile pour les classes inférieures de la société qui vivaient autrefois aux crochets des seigneurs et qui sont aujourd’hui livrées à leurs propres moyens. Autrefois l’existence était simple, et il y avait peu de pauvres ; de nos jours la misère existe, et, dans les grandes villes, il en est d’épouvantable. Tokio a son quartier des mendiants. Vous n’imaginez rien de plus triste ni de plus délabré. Des familles entières s’y entassent dans de misérables cabanes de bois, à peine fermées, à peine couvertes. Quand on quitte les splendides boulevards qui entourent le palais du Mikado, bordés de constructions européennes, sillonnés de tramways électriques, et qu’on compare ces deux aspects, tous deux