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LES PRÉCURSEURS DE LA PUISSANCE ANGLAISE

vastes desseins et de tels efforts ne songeait même pas à préserver ses villes maritimes et les laissait se garder toutes seules.

Nous avons vu la marine anglaise naître sous Élisabeth des circonstances extérieures et non de l’instinct national. La lutte contre l’Espagne, lutte sourde et mal définie qui dure plus de quinze ans, développe les énergies et les appétits des corsaires ; la guerre navale de Cromwell contre les royalistes entretient l’institution naissante et Charles ii se trouve à la tête d’une flotte sérieuse. Ce n’est qu’en 1713, pourtant, à la paix d’Utrecht, que l’Angleterre sera reconnue pour une grande puissance navale. L’idée commerciale marche de pair, avec la même lenteur. En 1625, à l’avènement de Charles ier, un mouvement se dessine ; des publications relatives au commerce paraissent en grand nombre ; aussi les droits de douanes, qui montaient à 14.000 livres en 1590, en atteignent-ils 50.000 en 1641. La routine contribue à retarder l’essor. Tandis qu’en Hollande on peut depuis longtemps emprunter à 3 pour cent, l’intérêt de droit et de fait est, en Angleterre, de 8 pour cent. Voilà qui ne facilite pas les entreprises lointaines. Le roi lui-même n’a pour prêteur que des orfèvres et difficilement se procurerait un capital supérieur à son revenu d’une année. Guillaume d’Orange, en créant la banque, en opérant la réforme financière, en établissant le contrôle de la frappe des monnaies, prépare et facilite l’élan commercial plus encore qu’en fondant la Compagnie des Indes.

Cet élan, pour manifeste qu’il soit devenu, à l’heure où disparaît le troisième des « précurseurs », n’en demeure pas moins localisé dans une faible partie de la nation. Il y a alors trois Angleterres distinctes et presque étrangères l’une à l’autre. La première et la plus nombreuse est cette Angleterre agricole formée au lendemain de la conquête normande. Depuis que la guerre des Deux-Roses a fait disparaître ce qui restait de l’ancienne noblesse féodale, elle s’est complétée et achevée. Le gentleman farmer y a pris le premier rôle. C’est l’âge de la Merry England qu’ont chantée les poètes d’antan ; elle n’est ni paresseuse, ni inactive mais elle ne pratique ni ne conçoit le travail intense qui sera le lot de l’avenir. Depuis 1589, un rudiment d’industrie s’est superposé à l’agriculture ; les Anglais, qui ne savaient pas jusqu’alors tisser la laine de leurs moutons et la livraient aux Flamands pour la manufacturer, ont appris de ceux-ci, chassés de leur pays par les armées espagnoles, l’art de fabri-