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cation pour peser de son mieux sur les élections, il est étonnant que le succès de ses candidats ait été aussi médiocre. C’est, dit-on, « l’opposition » qui triomphe. Ce mot fait sourire. Hélas ! il n’y a pas d’opposition en Russie par la raison qu’il n’existe ni partis ni programmes. Personne se sait exactement où il veut aller, ni le Tzar à coup sûr, ni le comte Witte probablement ni les autres non plus. Il y a, d’une part, les gens qui cherchent le maintien de l’ordre de choses actuel, c’est-à-dire de la bureaucratie, corrompue à l’aide de laquelle ils pêchent en eau trouble et ces gens-là ne comptent point sur la Douma pour arriver à leurs fins ; ils agissent secrètement et tacitement. En face d’eux il y a les révolutionnaires qui, n’ayant rien à perdre au désordre et à l’anarchie, pensent y avoir sûrement quelque chose à gagner. Ceux-là non plus ne pénètrent pas à la Douma. Restent donc des incolores, des indécis qui se trouvent condamnés à verser à droite dans l’arbitraire ou à gauche dans la licence, par suite de cette incapacité gouvernementale, de cette inaptitude à s’intéresser aux affaires publiques si caractériques de la civilisation moscovite. La Russie a en ce moment beaucoup d’atouts dans son jeu. Le succès extraordinaire de son dernier emprunt a montré de quel crédit jouissent au dehors ses facultés et ses ressources. L’Angleterre dont l’alliance lui apporterait un singulier renfort économique et moral, incline de plus en plus vers elle. Le tsarisme est sorti victorieux de troubles longs et inquiétants. Il n’y a en somme qu’un point noir : la Douma. La Douma tend à transformer en monarchie parlementaire un État qui n’a rien de ce qui est nécessaire pour vivre sous ce régime ; ni unité ethnique, ni communauté d’intérêts et d’aspirations, ni traditions historiques, ni éducation préparatoire. Un parlement russe est condamné au grabuge aussi sûrement qu’en France le rétablissement du droit d’aînesse amènerait une révolution. Sans doute il fallait opérer des réformes mais des réformes d’un tout autre ordre. Nous avons déjà dit notre pensée à cet égard. Il n’y a pas à en douter, l’issue de toutes les difficultés russes, c’était le fédéralisme. Il fallait considérer les différentes portions de l’empire comme des touts et en reconstituer l’autonomie. Nul séparatisme n’en fut résulté. Le prestige du tsar était plus que suffisant pour maintenir la cohésion souveraine. Les Finlandais eux-mêmes, malgré la persécution récente, éprouvaient assez de loyalisme pour vouloir servir fidèlement leur Grand-Duc. L’occasion est manquée ; voilà où gît le tragique