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REVUE POUR LES FRANÇAIS

que bras. Nous la suivons. Passant devant les gardes à l’air terrible, aux gestes terrifiants, qui protègent le séjour des dieux contre les esprits mauvais, les visiteuses se sont arrêtées en face d’un autel. Elles ouvrent leurs paniers, en tirent des provisions, du riz, des fruits, du lard…, jusqu’aux baguettes, et installent le couvert du dieu. La bonne lui verse de l’eau-de-vie dans une minuscule tasse d’argent, tandis que la maîtresse s’incline front contre terre et prie, longtemps. C’est une jeune mère qui vient appeler sur son enfant la protection du Ciel. Elle n’a rien négligé pour être agréable à l’esprit qu’elle implore, elle lui offre à présent une robe, des chaussures, un chapeau…, tous objets en papier qu’elle brûle et qui s’envolent en fumée vers l’Olympe. Elle met ensuite le feu à une série de pétards, pour éveiller le dieu si, par hasard, il dort, et pour capter son attention, puis satisfaite, replace dans les paniers d’osier tout son couvert : le fumet a suffi, pour la nourriture de l’esprit ; le repas sera mangé en famille. Les Chinois sont pieux, mais pratiques.

Qui croirait qu’à deux pas de ce temple et cinq minutes à peine après cette scène touchante et comique à la fois, nous allons oublier la Chine et vivre un nouveau rêve ! Nous sommes dans un jardin, seul, devant un rocher creusé au fond duquel se trouve un buste en bronze entouré d’inscriptions latines, françaises, anglaises, portugaises : c’est Camoens, l’auteur des Lusiades, le Virgile portugais. C’est là, dans ce jardin, qu’il écrivit son épopée. Il demeura deux ans à Macao, comme fonctionnaire, en qualité de « curateur des héritages et des biens des absents », et lui laissa son plus beau titre de gloire en remplissant mal ses fonctions.

Macao, déchue comme place de commerce et comme port, est devenue un centre industriel assez prospère. Ses fabriques de ciment, d’opium, de pétards, ses filatures de soie lui constituent des revenus suffisants. Pourtant, elle ne s’en contente pas. Les autorités portugaises ont malheureusement favorisé, pour les accroître, l’établissement de maisons de jeu, actuellement affermées pour une somme annuelle de 387.000 dollars mexicains. Macao est ainsi devenue le Monte-Carlo du sud de la Chine.

On n’y joue pas à la roulette, mais au « jeu des sapèques » au