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À TRAVERS LA SUISSE MODERNE

Soleure, Bâle, Schaffouse et Appenzell. Sans doute le traité de Westphalie reconnut l’indépendance de cette Confédération qui s’était séparée dès 1499 de l’empire allemand. Mais un simple coup d’œil donné à l’état de choses qui prévalait en Suisse à la veille de la Révolution française fera comprendre le triste avenir auquel le pays paraissait voué.

Les treize cantons d’origine, les uns administrés par des corps de métiers, les autres gouvernés par de puissantes aristocraties, les autres enfin conservant leurs institutions populaires se trouvaient séparés depuis la Ligue dorée de la fin du seizième siècle en deux coalitions confessionnelles ; des milliers de traités aux clauses parfois contradictoires les liaient entre eux ou avec les nations étrangères. Cette mosaïque cantonale se compliquait des pays alliés, des pays protégés et des bailliages. Les pays alliés étaient le Valais, les Grisons, l’évêché de Bâle, la principauté de Neufchâtel, la république de Genève, les domaines du prince-abbé de Saint-Gall et les villes de Mulhouse et de Bienne. Les pays protégés étaient Engelberg, Rapperswyl et la république de Gersau. Quant aux bailliages, ils étaient innombrables ; les uns, tels que Lugano formaient le bien commun de tous les cantons ; d’autres étaient aux mains de huit, de cinq, de trois cantons, d’autre encore ne relevaient que d’un seul canton. C’est ainsi que Berne disposait de 25 bailliages, autant de territoires exploités — sinon esclaves — et toujours lourdement exploités. Des libertés et des franchises d’autrefois presque rien ne restait ; par contre, aux impôts féodaux soigneusement conservés commençaient de se superposer les taxes modernes et là où l’élection s’exerçait, la corruption électorale déjà s’était introduite. De choquantes inégalités régnaient, au profit des familles patriciennes enrichies par le commerce ou par le service mercenaire à l’étranger. Partout on réclamait et l’on se disputait.

L’aisance et la prospérité matérielle détendaient en même temps les ressorts de l’énergie nationale. La culture et l’industrie s’étaient développées ; le négoce était rémunérateur ; plusieurs cantons avaient amassé de grandes richesses dont l’imagination populaire tendait à accroître encore l’importance ; la sécurité des routes était réelle ; le paupérisme n’existait pas. Voltaire, comme la plupart des voyageurs, pouvait s’extasier sur le bel aspect du pays.

Ainsi les sourires de la fortune couvrant de formidables abus