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L’ARMÉE ET LE TRAVAIL MANUEL

apprenne un ; que chaque officier reçoive une instruction ouvrière sérieuse lui permettant de diriger et de surveiller en l’améliorant le travail de ses hommes ? Physiquement le résultat serait bon assurément ; moralement, une saine atmosphère, des éléments nouveaux d’intérêt et d’émulation se trouveraient introduits. Professionnellement, il n’y a rien d’incompatible entre le maniement de l’outil et celui de l’arme ; bien entendu il ne faudrait pas léser l’arme au profit de l’outil ; mais il y a temps pour tout et que d’instants mal occupés sinon inoccupés dans la journée du soldat ? Socialement et économiquement enfin, l’établissement d’une éducation professionnelle au régiment et la création d’une main-d’œuvre militaire salariée seraient sans inconvénients. Le surcroît de dépense occasionné à l’État par la transformation de la solde en salaire se trouverait amplement compensé par l’économie réalisée dans maints travaux publics, lesquels seraient confiés à la troupe. Il ne saurait être question ici de concurrence. Ce serait à lui-même que l’ouvrier se ferait concurrence puisque le salaire dont l’homme, sorti du régiment serait privé aurait été gagné par lui pendant son séjour sous les drapeaux en même temps qu’il aurait reçu gratuitement un complément précieux d’instruction professionnelle. Cela n’a aucun rapport avec la situation du travailleur ou du commerçant auxquels l’État nuit en vendant le produit manufacturé à bas prix, par exemple par les prisonniers.

Telles sont, Messieurs, les réflexions que m’a suggérées la lecture de l’article sur les Romains et les Français en Afrique. Vous jugerez peut-être mes idées bien subversives. Ce sont pourtant celles d’un vieux militaire plus attaché à la forme d’armée qu’il a connue et dont il a fait partie qu’à aucune autre — mais assez ouvert aux choses de son temps pour savoir que tout évolue ici-bas et très vite même. Aux besoins nouveaux il faut des institutions renouvelées. C’est la loi de l’humanité. Recevez, Messieurs, l’expression de mes sentiments distingués.

Un ancien officier.

Nos lecteurs apprécieront la portée de cette communication. Il est dans nos intentions d’ouvrir de suite une enquête auprès des hommes les plus compétents en la matière, afin d’établir ce qu’il convient d’abandonner ou de retenir des idées « subversives » de notre éminent correspondant.