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ANALYSES. — guyau. Genèse de l’idée de temps.

a identité entre les deux localisations dans le temps et dans l’espace. Aussi est-ce par l’intermédiaire de l’espace seulement que nous pouvons mesurer le temps. « Vous vous rappellerez ce que vous avez fait pendant un certain temps dans tel milieu, et vous comparerez ce souvenir à vos impressions présentes, pour dire : c’est de longueur à peu près égale ou inégale (p. 74). »

Mais alors, comment distinguons-nous le temps de l’espace ? Le sens externe qui a le plus servi à opérer cette distinction, selon M. Guyau, est l’ouïe, précisément parce que l’ouïe ne localise que très vaguement dans l’espace, tandis qu’elle localise admirablement dans la durée (p. 74). Après l’ouïe vient l’imagination. « Nous ne faisons pas des mouvements avec nos jambes seules, nous en faisons avec nos représentations ; et nous ne tardons pas à distinguer ces espèces de promenades intérieures de la locomotion extérieure (p. 75). »

Si l’estimation de la durée n’est qu’un phénomène « d’optique intérieure », elle sera essentiellement relative. Elle est liée, en effet : 1o à l’intensité des images représentées ; 2o à l’intensité des différences entre ces images ; 3o au nombre de ces images et au nombre de leurs différences ; 4o à la vitesse de succession de ces images ; 5o aux relations mutuelles entre ces images ; 6o au temps nécessaire pour la conception de ces images et de leurs rapports ; 7o à l’intensité de notre attention à ces images et aux émotions de plaisir et de peine, aux désirs ou affections, qui accompagnent ces images ; 8o au rapport de ces images avec notre attente, avec notre prévision. M. Guyau consacre un chapitre spécial à ce qu’il appelle les « illusions du temps » ; il y analyse avec une rare ingéniosité quelques-unes des erreurs que nous commettons dans l’appréciation de la durée. Tantôt il explique ces erreurs par des illusions de perspective analogues à celles de la perception dans l’espace, tantôt il les rapporte à des causes affectives. Citons en particulier cette explication de l’illusion bien connue, signalée par Stevens, qui consiste à raccourcir les temps courts et à allonger les temps longs. « Quand l’intervalle à reproduire est au-dessous du point d’indifférence, on a beau se le représenter d’abord plus long qu’il n’est, on s’aperçoit qu’il est rapide et on s’imprime à soi-même, dans la reproduction motrice, une vitesse ayant pour but de ne pas rester au-dessous du type. Cette vitesse aboutit à raccourcir encore les intervalles déjà courts. Au contraire, quand l’intervalle de temps est au-dessus du point d’indifférence, il paraît long malgré le raccourcissement que l’imagination en fait malgré elle, et la volonté imprime un mouvement lent, un mouvement contenu, par peur de trop précipiter (p. 95). » Si une année remplie d’événements marquants et divers paraît plus longue, c’est que la longueur apparente du temps apprécié à distance croît en raison du nombre de différences tranchées et intenses aperçues dans les événements remémorés (p. 104). Enfin, si les années paraissent si longues dans la jeunesse et si courtes dans la vieillesse, c’est surtout parce que les impressions de la jeunesse sont vives, neuves et nombreuses ; les