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ANALYSES. — guyau. Genèse de l’idée de temps.

numérique de leur république idéale, et, même à leur époque, ce chiffre était évidemment beaucoup trop bas. Maintenant, c’est de centaines de millions qu’il faudrait parler, si l’on se risquait à préciser la somme désirable de toutes les populations civilisées de l’Europe, réunies par hypothèse en une vaste confédération. C’est seulement dans cette hypothèse, en effet, que la population pourra sans danger cesser de croître à partir du niveau correspondant au plus haut point de valeur morale, intellectuelle et esthétique des individus. Mais, tant que durera le morcellement des États européens, qui les force à rivaliser de fécondité en prévision des guerres possibles, ce niveau devra nécessairement être dépassé un jour, s’il ne l’est déjà çà et là, au grand préjudice de la civilisation générale. Supposez ce beau rêve d’Union réalisé, personne ne songera plus à blâmer l’arrêt de la population française, mais tout le monde criera plutôt contre l’exagération prolifique des Russes, des Anglais, des Allemands. Malheureusement, les nationalités rivales ne sont pas près de désarmer, et, avant que la paix s’assoie sur la solidarité des nations reconnues toutes égales, grandes ou petites, comme les familles chinoises, nous avons le temps de fondre bien des canons.

G. Tarde.

Guyau. La genèse de l’idée de temps, avec une introduction par Alfred Fouillée ; Paris, Alcan, 1890 ; xxxv-142 p. in-18.

Dans ce très intéressant petit livre (publié par les soins de M. Fouillée), M. Guyau s’était proposé de montrer comment le sens de la durée évolue dans la conscience. L’auteur distingue d’abord entre la forme passive et le fond actif de la notion de temps ; il oppose le lit du temps à son cours. Envisagée du premier point de vue, l’idée de temps comprend quatre éléments : différences, ressemblances, nombre et degré. Dans une masse homogène, en effet, rien ne pourrait donner naissance à l’idée de temps ; la durée ne commence qu’avec une certaine variété d’effets. Mais, d’autre part, l’hétérogénéité absolue, si elle était possible, exclurait aussi le temps, qui a pour principal caractère la continuité. Or la perception des différences et des ressemblances a pour résultat la notion de dualité, et avec la dualité se construit le nombre (p. 20-22). Quant à la notion de degré, elle est étroitement liée à celle de moment, parce que chaque moment du temps présuppose un degré dans l’activité et dans la sensibilité (p. 24). De sorte qu’en définitive le cadre où le temps paraît se mouvoir, la forme du temps est un ordre de représentations à la fois différentes et ressemblantes, formant une pluralité de degrés (p. 25).

Reste à déterminer ce que l’auteur appelle « le fond actif de la notion de temps ». Ce fond actif est la conscience même, en tant qu’elle distingue un passé, un présent et un avenir. Mais cette distinction elle-même est acquise ; elle se ramène, en dernière analyse, à celle du pâtir