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présentent pas et ne s’enchaînent pas comme les idées, elles se présentent de temps en temps par fragments qui disparaissent, tandis que j’ai la sensation interne de l’enchaînement du sens des propositions : je comprends sans imaginer. Si je tâche de ramener mes idées à des images, je ne les ramène guère qu’à des possibilités de sensations, je sais que telle idée signifie que j’aurai dans telle ou telle circonstance, telle ou telle sensation, mais ces sensations, je ne me les représente pas. Je puis par un effort m’en représenter quelques-unes, mais c’est à peu près tout en général. Ainsi je comprends très bien ce que veut dire ceci : « Parmi les constellations australes visibles pour nous, la plus belle est Orion, le grand chasseur, qui est formée d’un superbe trapèze de quatre étoiles, partagé au milieu par une magnifique ceinture qui est posée presque sur l’équateur céleste. » (Secchi, Les étoiles.) Mais c’est à peine si en lisant ou en écrivant ces lignes j’ai eu quelques visions d’étoiles, j’ai aperçu mentalement d’abord le quadrilatère, puis le baudrier en étoiles brillant sur fond bleu sombre, mais ces images ont été fugitives. Tout le reste des phénomènes psychiques que je puis constater en moi consiste en mots et en sensations internes ; ces sensations internes paraissent résulter du classement qui s’opère dans l’esprit. Quand je lis, par exemple, que la ceinture est placée à peu près sur l’équateur céleste, j’ai bien en m’arrêtant sur cette idée, quelques vagues images de sphère, de globe, sans même avoir une représentation distincte de l’équateur et du baudrier en tant que placé tout auprès ; mais je sens que j’ai compris en ce que si je voulais, je pourrais éveiller d’autres idées avec lesquelles se coordonneraient celles que la lecture vient d’éveiller en moi. Mais ces idées je ne les éveille pas, je les laisse à l’état latent. Je sens seulement l’accord qui s’établit entre elles et les nouvelles. Si au contraire, ce que je lis éveille des idées qui gênent mes idées antérieures, celles qui sont à l’état latent, mais qui existent dans mon organisation cérébrale, je sens une sorte de trouble psychique, et je me rends compte que cela provient d’un désaccord que je puis analyser, si bon me semble, en éveillant les idées dont les résidus ne permettent pas à la nouvelle venue de s’imposer harmoniquement à mon esprit, en mettant en activité les tendances contrariées par l’arrivée de la nouvelle représentation. De même quand je suis arrêté par une phrase que j’ai besoin de relire pour la bien comprendre, je sens que le classement dont je parlais ne se fait pas, que les mots que je lis ne correspondent pas à des systèmes d’idées ou d’images, une sensation interne m’avertit de cela sans que j’aie besoin d’analyser le fait, de voir en quoi je ne comprends pas, ce que je puis faire pourtant si je veux.