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EVELLIN.possibilité d’une méthode

nous fait passer maintenant de la nature du phénomène, tel qu’il est donné, à la multiplicité de l’être qui l’engendre.

Et dans l’un et l’autre cas la croyance est garantie. Vous niez l’existence de l’être ; vous niez, sans le vouloir, l’existence du phénomène, c’est-à-dire d’un fait donné en intuition et que vous-même avez posé. Vous niez la pluralité de l’être ; vous niez, sans le vouloir, la possibilité du phénomène comme mode distinct, vous niez ses conditions de temps et d’espace, vous niez enfin avec sa multiplicité et son étendue, ses traits caractéristiques et essentiels.

Il faut que l’être soit et soit multiple, pour que le phénomène soit et soit ce qu’il est.

Et, qu’on veuille bien le remarquer, cette vérité première a le caractère de l’absolu. En vain invoqueriez-vous contre elle la loi de connaissance relative. Vous n’avez le droit de le faire, que si vous admettez implicitement ce que vous niez de bouche, car supposer que la pensée est relative, c’est, ou ne pas s’entendre soi-même, ou reconnaître que la distinction du sujet et de l’objet est fondée, et que, par conséquent, l’être est multiple.

Dans l’hypothèse d’un être unique, la pensée, encore une fois, ne peut être que la prise de possession directe, immédiate, de l’absolu par l’absolu.

Ce n’est donc que comme corollaire de la multiplicité des existences que la loi de connaissance relative peut se concevoir, et le doute sur la portée de la connaissance ne peut commencer, qu’après qu’on a posé l’hypothèse qu’au nom de ce doute même on tient pour suspecte.

Si, pénétrant plus avant dans la spéculation métaphysique, je cherchais à définir la nature des êtres dont je viens d’affirmer la pluralité, vous pourriez m’arrêter d’abord, et je devrais, avant de faire un pas en avant, répondre à vos objections et à vos doutes ; mais ; pour le moment, je n’ai pas à en tenir compte, car je ne puis les prendre au sérieux que si vous avez pris au sérieux vous-même le principe dont vous paraissez douter.

Comme le mode, la forme, l’acte, l’effet, ce que vous appelez relatif implique multiplicité dans l’être. J’ajoute que ces notions fondamentales ne sont, en dehors du polydynamisme, que des notions parasites.

La loi de connaissance relative ne peut être d’ailleurs une loi absolue. Tel sera l’objet d’une troisième étude. S’il faut appeler relatif non seulement ce que l’esprit voit et conçoit, mais encore ce qu’il pose comme la condition de l’un et l’autre, il n’est plus rien, pas même l’être, qu’on puisse regarder comme réel ou absolu.