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EVELLIN.possibilité d’une méthode

être présents, font passer en nous quelque chose d’eux-mêmes, par l’intermédiaire des êtres présents.

On le voit, la multiplicité apparaît de plus en plus complexe à mesure que nous pénétrons plus avant dans l’étude des conditions vitales du phénomène. Que dire du phénomène comme phénomène, et de la mobile variété de formes et de couleurs qu’il dessine à chaque instant sous nos yeux ? C’est sans doute sur la foi du spectacle qu’il nous offre, spectacle fait d’éléments si divers et de si étranges contrastes, que le vulgaire croit d’instinct, mais pour des raisons que la raison en dernier ressort juge valables, à cette multiplicité nécessaire où toute spéculation métaphysique doit se fonder.

Seule, en tout cas, l’hypothèse de la multiplicité de l’être peut lever la contradiction qu’enferme le phénomène et dont tant de penseurs ont été frappés.

Le phénomène, en effet, est un et multiple. L’habitude que nous avons de vivre avec lui nous a rendus indifférents à la coexistence de ces déterminations contraires, mais il n’en est pas moins nécessaire de l’expliquer. Dira-t-on qu’il est multiple dans sa matière, un dans sa forme ? Mais s’il se suffit à lui-même, s’il n’enveloppe pas une dualité, il est aussi impossible de lui appliquer la distinction de la matière et de la forme que celle de l’acte et de la puissance, de la cause et de l’effet. C’est toujours l’illusion d’optique que nous avons signalée, et qui nous montre dans un système ce qui n’existe et n’est possible que dans le système opposé. Le phénomène, s’il est seul, s’il ne nous révèle que sa propre nature, doit être, sous le même point de vue, un et multiple, ce qui est absurde.

Imaginons, au contraire, que chaque être subisse l’action d’êtres multiples en relation avec lui ; en même temps que la distinction du sujet et de l’objet, celle de la forme et de la matière devient possible, et la contradiction disparaît. Sans doute la matière en tant que matière reste multiple ; la forme en tant que forme demeure une ; mais comme la connaissance implique à la fois matière et forme, l’un, dans la perception est multiplié, comme, à son tour, le multiple unifié.

Ce n’est pas seulement le phénomène, c’est aussi le concept, issu du phénomène qui enveloppe le contraste dont nous parlons.

Aussi Kant ne pouvait-il songer à déduire, au sens rigoureux du terme, ses catégories et ses formes. Comme ce sont des notions complètes, elles enveloppent toutes matière et forme, et la matière, qui est le multiple indéfini, est donnée et ne se déduit pas.

Telle est la loi de tout ce qui est concevable. Le temps ne peut être une forme a priori, c’est la synthèse d’une forme a priori et d’une matière. Ainsi de l’espace. Ainsi de la quantité où Kant est le