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EVELLIN.possibilité d’une méthode

suppose, n’est pas l’objet même. Comment donc l’être, s’il est un, aurait-il besoin d’un tel intermédiaire pour se connaître ? Nous voulons qu’il s’exprime, parce que, sans y prendre garde, nous nous faisons les témoins de son évolution intérieure et de sa vie, mais c’est là sortir de l’hypothèse, puisque dans l’hypothèse, nous n’avons pas le droit d’exister. L’être s’exprimerait-il alors à lui-même ? A quoi bon, puisque, en lui, coïncident l’objet à exprimer et le sujet qui en verrait l’expression. À la source de la lumière et de l’être, cette sorte de réfraction nécessaire dans notre monde multiple, n’a plus de sens.

Si pourtant on pouvait apercevoir dans un être unique des modes distincts, aucun de ces modes ne serait encore pour nous le phénomène que nous cherchons et qui semble fuir devant nos poursuites. Le phénomène, en effet, n’est pas seulement un mode mixte, produit nécessaire de deux facteurs ; il apparaît dans le temps ou dans l’espace, et le plus souvent dans l’un et l’autre.

Or, dans l’hypothèse du progrès, il semble bien à première vue que le temps, au moins, devienne possible, mais cette possibilité risque fort d’être illusoire. Sans doute ce que nous avons appelé la matière du temps y est donné, puisque l’être qui évolue est soumis au changement, mais où trouver maintenant la condition de sa forme ? Dans l’hypothèse d’un être immuable, c’est le changement, dans celle d’un être changeant c’est la part nécessaire d’immutabilité qui fait défaut. Peut-on dire, en effet, qu’il existe au fond de l’être toujours en progrès quelque chose d’éternel qui recueille les éléments épars de son existence, coexiste à la série entière de ses modes, et l’aperçoive, immobile, comme du dehors ? Il est permis d’en douter, et si l’on voulait quand même qu’un tel être, successif pour nous, quand, du dehors, notre pensée cherche à en lier les phases et à en souder les moments, fût également successif pour lui, si, par suite, il fallait admettre que le temps y a sa pleine ct absolue raison d’être, le temps ainsi créé ne serait pas encore le temps que nous connaissons, le temps vrai, le temps où vit et se meut le phénomène. On compare le plus souvent le temps à une ligne ; la comparaison serait juste si on ne l’appliquait qu’à une série unique d’événements ; mais, dans le temps, un nombre illimité de séries durables, toutes parallèles, semblent se dérouler à la fois. On dirait un courant immense, d’une largeur infinie, qui porte, d’un mouvement toujours égal, les événements les plus divers, et où tous les phénomènes, en quelque point de l’espace qu’ils apparaissent, ont leur histoire. Comment, je le demande, rattacher une telle conception au développement d’un être unique ? Est-il possible d’y découvrir