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de l’être qu’en supposant dans l’être lui-même un mouvement d’évolution continu, qui lui permit de passer graduellement de l’unité absolue à la multiplicité indéfinie, du rationnel qui ne se voit pas au sensible qui se voit.

Sans doute, puisque l’un et le multiple sont termes qui se nient et se détruisent, le point de départ et le but sont séparés l’un de l’autre par l’infini ; mais n’avons-nous pas, d’autre part, l’infini pour le combler ? Qui nous empêche de multiplier sans fin les intermédiaires entre les extrêmes ? L’évolution est continue, et la continuité a précisément pour but de masquer à chaque instant du progrès les plus petites différences, en créant de l’une à l’autre d’innombrables et insensibles transitions.

Telle est la donnée du devenir. Lorsqu’on a dépouillé cette hypothèse du luxe de métaphores destinées à la rendre populaire en assimilant au progrès de la vie individuelle le progrès général de la nature, lorsqu’on l’a ramenée à l’idée fondamentale d’où elle dérive, on se trouve en face d’une théorie proposée pour la première fois par le plus profond et aussi par le plus moderne des philosophes anciens, la théorie de l’acte et de la puissance d’Aristote.

Mais Aristote, quelque vif que fût son sentiment de l’évolution des choses, ne l’avait proposée que sous deux réserves expresses : il voulait d’abord que la distinction de l’acte et de la puissance s’évanouit au sein de l’être qu’il avait séparé du monde pour l’isoler dans la béatitude de sa pensée solitaire ; il affirmait, d’autre part, qu’au sein même de l’imparfait et du fini, la puissance, en dépit des faits, ne pouvait se dépasser dans son acte, ni tirer d’elle quoi que ce soit de supérieur à son contenu.

Ainsi, le principe de révolution échappait aux contradictions qu’il rencontre dès qu’il se pose, et auxquelles s’est heurtée plus d’une fois la doctrine du progrès sous la forme purement Imaginative qu’on lui a si souvent prêtée depuis.

Nous croyons, avec Aristote, que l’opposition de la puissance et de l’acte n’est valable que dans le domaine du fini, et la raison en est, selon nous, que le domaine du fini est le domaine du multiple.

Nous croyons également que, dans la sphère où une telle opposition est possible, la supériorité de l’acte sur la puissance n’est qu’apparente, et, si l’on demande les raisons de cette apparence, nous répondrons que c’est encore et toujours le multiple qui les fournit.

Essayons de le montrer :

Soit, au commencement des choses, une puissance unique. Ou on la suppose vraiment puissante, douée en elle-même et par elle-