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EVELLIN.possibilité d’une méthode

la matière, ainsi qu’on l’a si souvent fait observer, mais encore la forme de l’idée divine, et s’il arrivait en apparence du moins à expliquer le phénomène, c’est qu’il avait déjà placé dans l’être, contrairement à son idée véritable, tout ce que le phénomène a d’essentiel.,

Nous n’avons pas la prétention de faire incidemment et en passant la critique d’une des œuvres les plus hautes qu’aient créées les méditations d’un philosophe. Il nous faut bien constater toutefois que le génie se condamne à l’impuissance, lorsqu’il s’attache à un problème insoluble. Comment, en effet, unir en une même nature deux attributs contradictoires ? S’il n’y a au monde qu’un seul être incommunicable et éternel, sa manière d’être exclut le multiple et le mobile ; elle ne peut être que le reflet de l’unité et de l’éternité qui le constituent.

Allons plus loin. Est-il possible de concevoir au sein d’un tel être, qu’elle en soit ou non l’expression fidèle, une manière d’être qui s’y montre distincte, et se détache comme en relief sur le fond de son existence ?

On va en juger ; mais, avant toute discussion, il importe de se tenir en garde contre une cause d’erreur d’autant plus digne d’être signalée qu’elle a presque toujours passé inaperçue. Elle se rencontre à l’origine de toutes les doctrines métaphysiques où elle a créé, dès le début, d’irréparables confusions.

La voici en deux mots : lorsque nous faisons une hypothèse, nous sommes, faute de notions assez exactes et de principes suffisamment définis, souvent amenés à y introduire des conceptions qui n’ont de sens et de raison d’être que dans une hypothèse différente ou même contraire.

Dans le cas présent, c’est le polydynamisme qui risque, si l’on n’y prend garde, de prêter à la doctrine opposée l’appui de conceptions qu’elle exclut.

Comment et pourquoi, on va le voir.

Nous espérons établir plus tard que les vérités essentielles, les vérités nécessaires à la vie et fondamentales sont, par un bienfait de la nature, données non à l’individu mais à l’espèce, et comme fondées en la pensée par d’invincibles croyances. Or, parmi ces croyances, une des premières et des mieux établies dans l’humanité est la foi à la pluralité des choses, pluralité que la raison ne dégage que laborieusement du phénomène, mais que nous posons d’emblée, et qui paraît l’évidence même à l’intelligence du premier venu. Le multiple est donc l’objet d’une affirmation spontanée et naturelle, et cette affirmation a la sûreté et la rapidité de l’instinct. On conçoit