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EVELLIN.possibilité d’une méthode

demander ses titres, et, loin de nous étonner, ses apparitions successives nous semblent, par l’effet de l’habitude, toutes naturelles. Cependant rien n’est moins aisé que de rendre compte de sa présence et d’expliquer son origine. Qu’est-ce que ce semblant d’être qui s’éclipse en se montrant, lueur fugitive que l’esprit ne peut fixer ? L’ètre est ; comment supposer qu’il existe rien en dehors de lui ? On ne peut que l’affirmer ou le nier, et, par suite, poser l’être ou le néant. Entre ces deux termes, pas de milieu imaginable, et cependant ce milieu existe, puisque le phénomène est donné. Ce qui fait le scandale de la raison, ce que tout d’abord elle juge impossible, est ce qui d’abord s’offre à nos yeux.

N’est-ce pas, en effet, comme un défi à la raison que l’existence du phénomène ? Il est, puisqu’il se distingue du néant ; et cependant il n’est pas, puisque, abandonné à lui-même, il se dissout et périt. Étrange intermédiaire entre rien et quelque chose ! Il semble également impossible de le concevoir et de le nier, et l’on dirait qu’il réalise l’inintelligible en se posant.

A la réflexion, toutefois, on peut croire qu’il est moins éloigné de l’un des deux extrêmes que de l’autre. Le néant le rejette d’une façon absolue et radicale, mais l’être, sans se confondre avec lui, peut le réclamer à titre d’accident ou de mode. Le phénomène alors serait distinct de l’être et lié à l’être ; distinct de l’être comme phénomène, lié à l’être comme un moment de sa vie, un reflet de son essence, un acte de son vouloir.

Il est plus facile, à la vérité, de risquer une telle supposition que de la faire prévaloir, ou seulement de la rendre plausible. Comment l’être se laisse-t-il atteindre et pénétrer par l’accident ? Comment sa vie intime et profonde est-elle amenée à se fractionner en moments distincts et en modes multiples ? Là se trouve précisément le nœud du problème. Dans l’hypothèse de l’unité de l’être, nous le croyons insoluble. Pour que le phénomène soit possible, il faut que l’être, en un sens, devienne multiple, et qu’à sa surface au moins la division apparaisse ; or, nous allons le voir, l’être ne saurait se diviser ainsi que s’il existe dans le monde des êtres ou des centres d’action distincts de lui et unis à lui.

Et d’abord, qui dit phénomène dit apparition. Qu’on imagine un être un, rigoureusement un et seul au monde, sans rival ni compétiteur dans l’existence. Comment, recueilli et absorbé en soi, cet être pourra-t-il se manifester, et à qui ? Si. faute d’un dehors qu’on a supprimé, il se révèle à lui-même, ce ne peut être que selon sa nature et sous la forme de son essentielle unité. L’unité, qu’on veuille bien le remarquer, n’a rien d’incompatible avec la per-