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Voilà la croyance saisie et observée sur le fait, la croyance surprise dans son acte fondamental.

Sa raison d’être est une intuition préalable, sa garantie une nécessité intérieure que la pensée ne violerait pas sans se détruire.

Dans l’ordre de l’existence, on l’a vu, l’être est premier et le phénomène qui en dérive lui doit la réalité qu’il possède ; maintenant tout diffère et la loi est renversée : dans l’ordre de la connaissance, c’est du phénomène qu’il faut partir ; c’est lui qui projette sur l’être ce qu’il a de certitude et de lumière.

En fait, l’être n’a d’autre raison d’être que sa nature, et l’esprit, à la réflexion, est bien obligé de le reconnaitre, mais, au moment où il le découvre, il n’est à ses yeux que parce que le phénomène l’enveloppe, il n’est que parce qu’il est impliqué dans l’intuition.

L’intuition, voilà le point de départ et le fondement nécessaire de toute croyance, car la croyance se ressemble toujours à elle même, elle est dans tous ses actes ultérieurs ce que nous venons de la voir à l’origine.

En veut-on la preuve ? Il suffit de pousser plus loin l’analyse. Cet être impliqué en tout, supposé par tout, quel est-il et que puis-je affirmer sur sa nature ? Ici encore l’intuition me fait défaut. À la croyance d’y suppléer. Elle y supplée, en effet, comme elle le faisait tout à l’heure et à l’aide des mêmes moyens, car son procédé dialectique ne varie pas. Pour que le phénomène soit, l’être doit être, telle était sa première affirmation ; voici maintenant l’affirmation qui la complète : l’être doit être tel qu’il puisse expliquer le phénomène, non plus seulement dans le fait de son existence, mais dans les particularités de sa nature ; le phénomène possède certaines déterminations ; l’être, en conséquence, doit posséder, à l’exclusion de tous les autres, les attributs que ces déterminations impliquent.

Ainsi, aux deux moments essentiels de son progrès, la croyance relève du phénomène et trouve en lui son point d’appui nécessaire. C’est le phénomène qu’il faut poser au point de départ, soit que nous cherchions dans le fait de son existence la raison d’une existence plus haute, soit que nous demandions à une étude approfondie de sa nature ce qu’elle peut nous apprendre sur le réel.

D’ailleurs quelque idée qu’on se fasse des fonctions de la pensée, la méthode la plus rationnelle et la plus sûre est évidemment celle qui va du donné à ce qu’il implique, du connu à l’inconnu.

Partir de l’être, en métaphysique, c’est s’exposer à ne jamais rencontrer le phénomène. De l’un à l’autre la route est difficile et semée d’obstacles. Qui peut être assuré de passer et sans discontinuité logique sur les étapes qui séparent le but du point de départ ?