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EVELLIN.possibilité d’une méthode

pouvons sans le moindre effort lui donner notre attention ; disons mieux : pour le connaître il n’est nullement besoin de le chercher ; spontanément il s’offre à nous et pénètre en nous par tous nos sens qu’il n’entretient que de lui. Aussi le premier venu peut-il aisément le décrire. Il possède forme et couleur ; ses parties déployées dans l’espace y vont visibles comme une peinture sur une toile ; ses contours suffisamment arrêtés le distinguent de tout le reste, et lui font en deçà de ses limites, une sorte d’individualité dans son domaine. La géométrie, avec ses figures si précises, ses lignes exactement tracées et si nettes, est déjà en puissance dans le sensible d’où elle doit sortir et qui lui fournira ses notions fondamentales de continuité et de limite ; mais ce que faute d’un pouvoir d’abstraction suffisant, l’entendement ne conçoit pas toujours sans quelque peine dans le monde mathématique, l’observation le saisit d’abord et du premier regard dans les faits. C’est que le phénomène est donné en intuition. Sans doute nous ne voyons ni ne pouvons voir ce qu’il est dans ses raisons objectives et hors de nous ; mais, comme phénomène et en tant qu’apparence, c’est la clarté même, et le concept qui en dérive ne se laisse embrasser et définir qu’à la condition de lui emprunter un peu de cette lumière sensible où nous vivons, et qu’il faut, bon gré mal gré, sous peine d’affirmer sans intuition et à l’aveugle, réfléchir sur les objets même les plus abstraits de la science.

On ne saurait assez insister sur ce fait d’une importance capitale, mais dont les conséquences n’apparaîtront que plus tard : au phénomène et à l’être irréductibles comme objets de pensée, répondent l’intuition et la croyance, irréductibles comme fonctions de l’esprit.

Entre ces termes le parallélisme est visible. Être et phénomène sont donnés primitivement ; primitivement aussi les pouvoirs originaux qui s’y appliquent.

La croyance diffère de l’intuition comme l’être du phénomène. L’intuition voit et constate ; elle voit même plutôt qu’elle ne sait, si le savoir véritable est autre chose que l’expérience des sens ; la croyance sait, mais elle ne voit pas, elle affirme, mais elle affirme les yeux fermés.

D’où lui vient donc sa certitude ? Précisément de l’intuition où elle se fonde. Ce dont la vue m’est interdite, je l’affirme au nom et sous la garantie de ce que je vois.

Exemple : le phénomène existe ; je ne puis douter de son existence puisqu’il m’est donné et que je le vois ; j’en conclus que l’être est. Pourquoi ? Parce que l’être est pour la pensée la condition même du phénomène, et que, par suite, il me faut ou affirmer son existence ou renoncer à penser.