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indéniable. Reste à l’interpréter. Or, en dépit de la doctrine communément reçue, rien ne prouve qu’il existe une vertu génératrice de la conséquence et que cette vertu réside dans l’une des deux hypothèses ; elle est plutôt, croyons-nous, dans l’une et dans l’autre, encore serait-il plus juste de dire qu’elle n’est nulle part, sauf dans l’esprit, qui, du choc de deux vérités indépendantes, fait jaillir une vérité nouvelle dépendante à la fois de l’une et de l’autre.

On risque donc, en partant de l’être et de l’être seul, de n’y rien trouver que l’être lui-même, ou d’y laisser pénétrer sans raison des formes et des qualités sensibles qu’il n’enferme pas.

Sans doute, l’être est la raison du phénomène, mais il n’en est peut-être pas la raison suffisante, la raison unique. C’est d’une synthèse de vérités que découle, en logique, la conséquence ; dans la matière, c’est peut-être une synthèse d’êtres qui crée l’apparence et engendre le phénomène. Nous l’avons déjà fait observer, l’existence du phénomène implique et présuppose l’existence de l’être, mais rien n’est moins certain que la vérité de la réciproque, et l’on peut supposer que l’être existe sans que pour cela le phénomène soit tenu d’apparaître. Que dis-je ? Il semble au premier regard impossible que l’être, en tant qu’être, crée la multiplicité phénoménale, car l’être par définition est unité et unité absolue. Il faut donc, entre lui et le phénomène, un intermédiaire qui relie l’une à l’autre, et explique l’existence simultanée de l’un et de l’autre ; en d’autres termes, le phénomène, qui dépend de l’être, doit dépendre, non de l’être lui-même, de l’être considéré dans son essence propre et dans la vérité de sa nature, mais de quelque accident qui, sans le modifier, s’y rencontre, par exemple d’une circonstance aussi fortuite et extérieure que celle de sa répétition ou de sa multiplicité dans l’univers.

La méthode qui se place d’emblée au sein de l’être tombe sous le coup d’une objection plus grave encore et radicale. L’être, on Pa vu, s’impose d’abord à l’esprit et revendique pour lui la première affirmation de la pensée. Dans le sensible tout l’implique sans que lui-même implique rien, et l’on peut dire qu’il se justifie en se posant. Mais savoir qu’il est ce n’est pas voir ce qu’il est, et le fait incontestable de son existence ne nous apprend rien sur sa nature. Comment donc songer à partir d’un principe aussi inconnu en lui-même qu’il est certain ? S’il est indéterminé pour la pensée, quel point d’appui peut-il lui fournir et quelle apparence y a-t-il qu’on en puisse jamais tirer le déterminé et le défini ?

Pour l’esprit, au contraire, le phénomène est la détermination même, et rien de plus naturel. En rapports familiers avec lui, nous