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EVELLIN.possibilité d’une méthode

Toute forme du dualisme est au fond une conception rudimentaire, une doctrine incomplète et comme arrêtée au premier moment de son progrès. La dualité primitive de l’être et du phénomène s’y trouve maintenue, sans qu’un des deux termes soit subordonné à l’autre, sans même qu’on y aperçoive entre ces termes d’autre différence que celle qui sépare l’une de l’autre deux réalités égales.

C’est ainsi que dans les formes les plus anciennes qu’ait revêtues cette doctrine, on voit marcher de pair et s’affirmer comme rivaux dans l’existence, bien et mal, liberté et nécessité, lumière et ténèbres.

Au contraire, l’histoire de la philosophie moderne est l’histoire du progrès qui peu à peu dégage l’être du fait sensible et rejette la matière dans le phénomène. Déjà, en la définissant par l’étendue, Descartes semble bien près de n’y voir qu’une apparence. Leibniz rompt le charme et montre, sous l’étendue même, l’unité indivisible et inétendue, sous le repos le mouvement, et sous l’inertie la force. L’idéalisme enfin va jusqu’à supprimer tout ce qui est prétexte extérieur à son existence et n’y veut plus reconnaitre que l’œuvre exclusive de l’esprit.

Bien rares aujourd’hui sont les philosophes, s’il en existe, qui croiraient pouvoir soutenir qu’en elle-même et dans son fond la matière est quelque chose d’analogue à l’apparence que l’esprit lui prête et que crée, à son insu, la perception. Résolue par les physiciens eux-mêmes en atomes et en centres d’énergie, elle s’est comme évanouie en fumée. Sur elle les sens n’ont plus de prise, parce qu’il ne lui reste plus de corps.

Faute d’un objet propre, le matérialisme à son tour devait disparaître. Sans appui dans les faits, sans racine dans la science, il est mort, et le génie même, s’il pouvait être tenté encore de l’embrasser, ne le ressusciterait pas.

Le phénoménisme, à la vérité, a paru lui rendre une heure de vie en le continuant sous un autre nom ; mais ce nom même devait être sa condamnation définitive. Reconnaître d’abord que la matière n’est que phénomène et ramener ainsi le matérialisme à la vérité de son objet, c’était, par définition même et dès l’entrée, lui interdire les régions de l’être et l’exclure sans retour de toute métaphysique à venir.

Les vrais héritiers de cette doctrine, si longtemps populaire, mais irrationnelle, sont précisément les deux systèmes qui paraissent occuper aujourd’hui toute la scène et dont l’existence, on l’a vu, répond seule à d’invincibles exigences de la raison. C’est le polydynamisme, d’une part, le monisme, de l’autre, qui se sont partagé