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analyses. — fouillée. La morale, l’art et la religion.

dont M. Fouillée a été le trop discret hagiographe ? Supposez qu’une nature de cet ordre eût apparu sur les rives du Gange au lieu de se déployer sur les bords de la Méditerranée : nul doute qu’elle n’eût été saluée comme la réincarnation de quelque ancien dieu métaphysicien, et que son tombeau n’eût fait des miracles. Tout d’abord, Guyau a été, on le sait, un vrai prodige de précocité. À dix-neuf ans, avec son beau Mémoire couronné, il apparaît au milieu de l’Académie des sciences morales et politiques, comme un adolescent inspiré parmi les « Docteurs de la Loi », non, certes, pour faire la leçon à ses maîtres, il en eût trop coûté à sa modestie, mais pour les émerveiller de son savoir. Et à trente-trois ans, il meurt, après avoir passé toute sa vie à formuler ou à pratiquer un nouvel évangile, fondé en somme, comme l’autre, sur l’omniscience et la toute-puissance de l’amour.

La nécessité interne qui pousse toute vie à s’épancher, à se dépenser au dehors et en autrui, ne serait-ce que pour faire le meilleur placement d’elle-même, le meilleur ensemencement plutôt : telle est la force universelle à laquelle il demande l’explication du beau, du bon, du vrai, du social en tout et pour tout. Je ne le contredirai pas en ceci ; le fond de tout être est assurément une ambition extraordinaire qui l’oblige à sortir de soi, et rien ne lui est plus essentiel que de viser au delà de son essence même. Tout vient de l’infinitésimal et tend à l’infini, tout ce qui est le plus généralement répandu a commencé par être une petite particularité qui s’est universalisée par degrés et n’a pu y parvenir qu’en bondissant bien des fois par-dessus sa limite. Il en résulte la condamnation la plus absolue de l’egoïsme utilitaire, Guyau a bien raison. Le plus impérieux besoin de la vie, par exemple, est le besoin de vouloir, et d’un vouloir proportionné au savoir et au pouvoir ; d’où suit l’impossibilité de s’enfermer dans un petit but égoïste quand l’intelligence s’est ouverte. — Seulement je crois que la formule de Guyau, pour avoir le droit de donner tout ce qu’il attend d’elle, demanderait à être complétée. J’y suis quelque peu intéressé, je l’avoue, car, en la tirant un peu à moi, je ne serais pas fâché de faire participer ma propre manière de voir à la séduction de la sienne.

Parlons d’abord de l’application de son point de vue à la morale. L’expansion de la vie : cela est doublement vague. Il reste à préciser l’idée d’expansion et aussi l’idée de vie. En premier lieu, expansion, est-ce que cela signifie le développement de l’être ou sa reproduction en autrui ? — Les deux, semble-t-on nous répondre. « L’accroissement de la vie et son élargissement au dehors » nous sont présentés comme la seule règle possible de la conduite dans la doctrine de l’évolution. Le malheur est que cet accroissement est le plus souvent, dans une certaine mesure au moins, opposé à cet élargissement. L’insecte meurt d’avoir engendré ; la paternité copieuse ne s’obtient, en ménage, que moyennant la gêne et les privations des parents. Il faut donc choisir parfois entre les deux buts qui nous sont donnés comme parallèles et qui en réalité peuvent se combattre. Nous croyons nous conformer à la