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ANALYSES ET COMPTES RENDUS


Alfred Fouillée. La morale, l’art et la religion d’après M. Guyau. (Félix Alcan, 1889.)

Le livre que M. Alfred Fouillée vient de consacrer à la mémoire de son ami n’est pas seulement un monument funéraire et littéraire d’un style exquis, où sur le buste du philosophe il a tressé en couronne les plus belles fleurs du poète ; c’est avant tout un document philosophique de la plus grande valeur, un résumé magistral de toute l’évolution mentale, harmonieusement continue, à laquelle nous devons la Morale anglaise contemporaine, la Morale d’Epicure, l’Esquisse d’une morale, les Problèmes de l’esthétique, l’Irréligion de l’avenir. L’unité profonde de cet esprit qui s’est répandu beaucoup sans jamais se disperser, éclate sans effort, par cette condensation lumineuse. Non pas éclectique et oscillante, encore moins sceptique, mais synthétique et symphonique au plus haut degré, cette pensée nous charme irrésistiblement par son accord unique et avec elle-même et la réalité, et avec le cœur et le caractère de l’homme, et avec les plus heureux dons de l’imagination créatrice. De là cette grâce singulière qui n’est point celle du scepticisme et de l’ironie, mais celle de l’harmonie et de l’enthousiasme platonique ou fénelonien. Il y a de l’onction pieuse dans ce prédicateur de ce qu’il appelle l’irréligion ; c’est, dans une lampe antique, de l’huile chrétienne qu’il a brûlé toute sa vie. Et quelle vie belle et pure, si courte et si pleine, si heureuse jusque dans la mort ! Si privilégiée après la mort même, par sa survivance en une amitié si rare, où s’est complétée son harmonie !

Il en aura été de Guyau comme de ces jeunes peintres dont l’œuvre, déjà grandement louée de leur vivant, n’attend que leur mort pour faire son assomption glorieuse au ciel de l’art. Le moment est venu pour cette haute pensée, pour cette âme noble entre toutes, de rayonner de tout son éclat et de susciter ses pareilles. A ce rayonnement désirable, et déjà commencé, si je suis bien informé, aura beaucoup servi l’ouvrage de M. Fouillée. — Guyau n’était pas un piétiste ni un quiétiste, il s’en faut ; c’était un penseur de ferme raison ; mais l’idée maîtresse qui anime et domine toutes ses recherches et qui lui a paru la plus propre, non sans motifs, à embrasser l’art, la morale, la religion, sous un même point de vue, ne lui a-t-elle pas été inspirée par son âme généreuse ? N’est-ce as une sorte de saint laïque, et des plus parfaits,