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ciels ciels ou incomplètement initiés. Pour qui voit de haut et juge d’ensemble, les conceptions individuelles se laissent assez facilement ramener à quelques types de doctrines qui demeurent dans l’histoire et dont le temps conserve les traits généraux. Soit, mais il faut observer aussi que plus va s’effaçant l’accidentel dans l’apparente diversité des doctrines, plus les doctrines résistent, et rien n’empêche de supposer que les types essentiels dont on parle et qui les résument ne soient en définitive irréductibles.

Lorsqu’on abandonne le terrain des faits pour essayer de déterminer a priori les raisons de difficultés aussi graves, on ne tarde pas à s’apercevoir que le problème de la méthode ne peut plus se poser en métaphysique comme on le pose d’ordinaire dans la science. La science part de données nettement déterminées et toujours précises, phénomènes ou concepts. La méthode y trouve donc tout d’abord un point d’appui. C’est un trait d’union rationnel entre deux termes, l’un connu, l’autre inconnu, une sorte de pont mobile abaissé du point initial où il est fixé au point terminal qu’il va rejoindre. En métaphysique, le point de départ semble arbitraire, l’affirmation première est comme suspendue dans le vide. Si le but est unique, puisqu’en tout état de cause on se propose une explication d’ensemble, on n’a pu encore, en vue de l’atteindre, s’entendre sur le principe d’où il faut partir. Nombre, mouvement, force, esprit, matière, autant de conceptions qui peuvent fonder une philosophie, sans que la supériorité de l’une d’elles ait été nettement démontrée et définitivement établie. Or, dans ces divers points de vue, la méthode ne peut demeurer la même, elle diffère nécessairement. Nous voilà donc obligés de renoncer à l’idée d’une méthode commune, ou de chercher pour tous les systèmes un point de départ commun. Prend-on le premier parti ? Il faut s’en remettre alors à la libre initiative de chacun et ne plus attendre le succès que du hasard. Veut-on, au contraire, appliquer la méthode même à la recherche d’un point de départ identique, et faire porter sur cette rechcrche son premier et décisif effort ? Il semble alors que nous tournions dans un cercle, car si le choix du point de départ est, logiquement au moins, antérieur à la méthode, on ne peut demander à la méthode de donner ce qu’elle suppose. Le terrain alors se dérobera sous ses pas ; pour ses premières démarches le point d’appui nécessaire lui fera défaut.

Telle est l’alternative dans laquelle se débat la philosophie première, lorsque, après avoir du regard fixé son domaine, elle essaye d’en prendre possession. Elle ne peut se constituer que par la méthode, et le problème de la méthode paraît sans issue. Ainsi dans la