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DUNAN.guérison d’aveugle-né

tions dans l’espace, a été dès l’origine tout ce qu’elle pouvait être et tout ce qu’elle sera jamais.

Nous avons eu occasion déjà de discuter cette même question, quoique sous une autre forme, à propos d’un cas tout semblable au cas de Marie V., celui dont la relation est due au Dr Dufour[1]. Nous montrions alors, par le témoignage du Dr Dufour, confirmé du reste par celui de tous les observateurs précédents, que le nouveau voyant ne s’aide en aucune façon du sens musculaire pour percevoir les formes superficielles des objets ; ce qui suppose que son œil les perçoit directement et par lui-même, et que l’effort qu’il fait au début en les regardant a pour objet, non pas de s’en constituer la représentation, mais de s’en bien fixer l’image dans la mémoire, pour pouvoir ensuite les reconnaître et les nommer. Nous ne croyons donc pas nécessaire d’y insister longuement aujourd’hui. Cependant, pour donner ici même au lecteur une base d’appréciation suffisante, nous allons discuter brièvement, et d’une manière exclusive, la question de la vision des formes superficielles. Si ces formes sont vues immédiatement, il est clair que les rapports de grandeur des surfaces doivent l’être aussi ; et, pour ce qui regarde les directions, nous rappellerons d’un mot que la vision en est impliquée dans celle des surfaces.

À l’égard de la vision des formes superficielles, c’est-à-dire des contours, une question se pose d’abord : cette vision était-elle bien réelle chez Marie V. au moment où je l’ai interrogée ? Mais, si elle ne l’avait pas été, comment l’enfant eût-elle reconnu la forme ronde du disque de papier que je lui présentais, surtout étant donné qu’on ne lui avait jamais montré rien de semblable, et que tout ce qu’elle avait vu de rond jusque-là, c’était une montre, quelques assiettes, et peut-être un objet ou deux encore ? Que l’on montre à un nouveau voyant un objet complexe, une main par exemple, en lui disant : « C’est une main » ; que ce nouveau voyant, quelque temps après, se trouvant en présence du même objet le reconnaisse et dise : « C’est une main » ; ce fait ne prouvera nullement qu’il ait vu cette main la première fois, ni même la seconde, comme un objet étendu à contours plus ou moins définis. On peut se demander au contraire si la première sensation visuelle ayant été celle d’une couleur sans rapport à l’étendue, et cette sensation s’étant associée avec l’idée d’une main, le nouveau voyant ne s’est pas trouvé en état de juger qu’il était en présence d’une main, par le seul fait du retour de cette sensation. Mais il faut bien remarquer que ce que Marie V. a reconnu

  1. Voy. le No d’avril 1888.